Les traditionnelles Réunions de Printemps des Institutions de Bretton Woods, tenues à Washington en avril 2025, constituaient dans un contexte de remise en cause des financements concessionnels du développement, une étape importante en vue de la 4e Conférence des Nations unies sur le financement du développement durable, qui s’est tenue du 30 juin au 4 juillet à Séville.
L’un des enjeux était alors d’établir un lien entre les réflexions conduites aux Nations unies en préparation de Séville et celles conduites par les institutions de Bretton Woods pour la réforme de l’architecture internationale du financement. Pour la Ferdi, ce lien impliquait entre autres que la Banque mondiale prenne en considération l’indice de vulnérabilité multidimensionnelle (MVI) adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en août 2024.
C’est pourquoi, s’appuyant sur les conclusions de l’événement qu’elle avait organisé aux Assemblées annuelles de Marrakech en 2023, la Ferdi a pris l’initiative d’organiser, en marge des Réunions de Printemps, avec les Nations unies (UN-OHRLLS et UN-DESA), ainsi qu’avec le 4P (Pacte pour la prospérité, les peuples et la planète), Africatalyst et l’Open Society Foundation, qui accueillait l’événement, une table ronde sur l'utilisation d'un indice de vulnérabilité multidimensionnelle pour l'allocation des financements du développement.
Il ne faisait mystère pour personne que la Banque manifestait une certaine réticence à inclure un indice de vulnérabilité dans la formule d’allocation de sa filiale concessionnelle IDA. Mais en référence au MVI et sur la base d’un travail préparatoire de la Ferdi nous avons pu faire valoir (voir présentation ppt) :
La table ronde organisée aux Réunions de Printemps était animée par Aboul Salam Bello, directeur à UN-OHRLLS et ancien administrateur de la Banque mondiale pour les pays africains du Groupe II, avec qui la Ferdi a eu la chance de collaborer pour sensibiliser les Gouverneurs africains de la Banque sur l’intérêt d’une telle réforme.
Diverses personnalités africaines, notamment le vice-Premier ministre et ministre des Finances du Cap Vert Olavo Correia et le ministre des Finances et du Budget de Centrafrique Hervé Ndoba s’étaient exprimées dans le même sens, ainsi que les administrateurs africains de la Banque mondiale. Ed Mountfield, qui était alors vice-président chargé de la politique opérationnelle et des services aux pays (OPCS) à la Banque mondiale a marqué son intérêt pour la proposition et annoncé qu’elle pourrait être examinée dans le cadre d’une prochaine revue de l’IDA qui sera conduite en tenant compte d’une évaluation demandée au Groupe indépendant d’évaluation (IEG). Arnaud Buissé, administrateur pour la France, a réaffirmé le soutien de la France à l’initiative, tout en indiquant qu’elle ne pourrait aboutir en utilisant le MVI des Nations unies tel quel en raison notamment du nombre excessif de ses composants. Il avait été rappelé que le MVI des Nations unies ferait lui-même l’objet de révisions ultérieures.
En introduction de la table ronde l’envoyée spéciale a.i. du 4P, Chrysoula Zacharopoulou, avait officiellement marqué l’intérêt de son institution pour la proposition et sa mise en œuvre. Cela fut confirmé à Séville, où un « événement spécial » a été consacré au 4P, en présence du Président Macron, de plusieurs chefs d’État et de responsables d’institutions internationales. De Washington à Séville, le 4P s’est affirmé comme un acteur multilatéral original, au-delà des clivages traditionnels. Pourra-t-il faire avancer une réforme de l’allocation prenant en compte la vulnérabilité structurelle et multidimensionnelle des pays ? C’est ce que souhaite la Ferdi.
Dans la quête d’un financement du développement durable, l’étape de Séville, préparée et attendue, est désormais passée. Avant de se projeter vers « l’après-Séville » et la mise en œuvre des engagements – nouveaux ou renouvelés – formulés à l’occasion de cette importante conférence, analysons le document qui les formalise pour en apprécier les perspectives au regard des idées portées par la Ferdi.
L’«Engagement de Séville », document négocié en amont et adopté la semaine dernière par les États membres des Nations unies présents à cette conférence, porte l’ambition de renouveler le cadre mondial du financement du développement tout en s’inscrivant dans la continuité du programme adopté en 2015 à Addis-Abeba. La Déclaration de Séville couvre un très grand nombre de sujets ayant trait au financement du développement et sur lesquels travaille la Ferdi : architecture internationale, financements concessionnels des pays vulnérables, gestion de la dette des pays pauvres, mobilisation de ressources fiscales, commerce international et développement, mesure du développement et redevabilité, etc.
La Ferdi avait participé ces derniers mois aux réunions préparatoires (PrepCom), en insistant spécifiquement sur trois thèmes qui nous semblaient moins explorés : l’allocation des ressources concessionnelles aux pays pauvres et vulnérables, la mesure des performances fiscales dans ces pays, et le financement des pays les moins avancés dans un contexte de fortes contraintes. C’est donc sur ces thèmes que la Ferdi a organisé trois événements parallèles lors de la conférence FfD4, dans un contexte marqué par le recul de l’aide publique au développement des pays de l’OCDE, une forte fragmentation internationale et une altération de l’allocation des flux d’aide publique au développement (APD) par le financement des biens publics mondiaux, notamment le climat.
La question fondamentale de savoir comment les ressources concessionnelles, rares par nature et encore plus dans la conjoncture actuelle, devraient être allouées géographiquement pour en optimiser l’efficacité est quasiment absente de la Déclaration de Séville [1]. Ce sous-intérêt prononcé pour les questions d’allocation illustre la difficulté de nombreux bailleurs à dépasser les incantations en faveur des pays pauvres et vulnérables pour aller vers un système plus juste, équitable et transparent de la répartition des ressources les plus concessionnelles.
C’est un message opérationnel que la Ferdi a voulu transmettre lors d’un événement parallèle organisé avec la Guinée, représentée par son ministre de l’Économie et des Finances Mourana Soumah et la participation de Gauthier Bourlard, directeur et conseiller à la BAD, de Gilles Morellato, chef du pôle Aide publique au développement du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) français, et Laurent Sarazin, coprésident du Forum international sur le TOSSD. Le besoin de distinguer les critères d’allocation des flux selon l’objectif (développement, adaptation au changement climatique, atténuation de ce changement) est apparu très clairement dans le débat, d’autant plus que les ressources concessionnelles se raréfient.
La forme de désengagement des pays historiques fournisseurs de l’aide au développement constatée à Séville et confirmée dans les prévisions récentes de l’OCDE renforce la nécessité déjà largement soulignée à Addis Abeba d’améliorer la mobilisation des ressources publiques intérieures dans les pays en développement.
Thème central des débats du FfD4, il est abordé dans la Déclaration de diverses manières complémentaires. Il est néanmoins un sujet, technique mais fondamental, qui curieusement n’est pas examiné dans la Déclaration et que la Ferdi a souhaité mettre en avant, celui de la mesure des «écarts fiscaux», qui permet d’évaluer le potentiel de recettes inexploité et de renforcer la transparence et la confiance du public dans les systèmes fiscaux nationaux. La Ferdi, en collaboration avec l’UEMOA, a organisé unévénement parallèle sur ce sujet autour de Vítor Gaspar, directeur du département des Finances publiques du Fonds monétaire international (FMI), Jean Tchoffo, secrétaire général du ministère de l’Économie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire du Cameroun et de Shanti Bobin, sous-directrice chargée des Affaires financières multilatérales et du Développement (Multifin), Direction générale du Trésor et Grégoire Rota-Graziosi, professeur universitaire d’économie à l'école d'Économie, Cerdi, université Clermont Auvergne et co-responsable du programme Fiscalité pour le développement durable à la Ferdi qui a présenté les travaux de la Fondation sur l’évaluation des écarts fiscaux en Afrique et la façon de les réduire, ouvrant la discussion sur les incitations et les dépenses fiscales dont la pertinence est parfois discutable.
Troisième sujet porté par la Ferdi à Séville : le financement des PMA. Si ces derniers restent au cœur des préoccupations des Nations unies (le texte de Séville consacre de nombreux sous-paragraphes à des questions relatives aux PMA), il est apparu important d’aborder de manière réactualisée le débat sur le financement de leur développement alors que le contexte international est défavorable aux financements concessionnels. L’événement parallèle co-organisé avec la ministre de la Planification et de la Coopération externe d’Haïti, Ketleen Florestal, a réuni un panel très riche, incluant l’ambassadeur du Népal Lok Thapa, président du bureau de Coordination globale des PMA, Abdoul Salam Bello, directeur à UN-OHRLLS et ancien administrateur à la Banque mondiale pour le Groupe II des pays africains, Olivier Cattaneo, chef de l'unité Analyse politique et Stratégie de l'OCDE, Kunal Sen, directeur de UNU-WIDER, ainsi que Shanti Bobin, citée plus haut, et Elea Wermelinger, sous-directrice adjointe du Développement au MEAE français. Le panel a mis en avant l’ampleur des défis des PMA et l’insuffisance des financements concessionnels qui leur sont alloués. Il a été l’occasion de réaffirmer le besoin de concentrer l’effort de la communauté internationale sur les pays pauvres et vulnérables. Ceci peut être obtenu notamment au moyen d’un système d’allocation des ressources concessionnelles prenant en compte la vulnérabilité structurelle des pays, au-delà des critères habituels de revenu. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’a été lancée l’initiative «Beyond GDP» par l’OCDE, à laquelle la Ferdi est associée, et qui vise à renouveler la mesure du développement
Séville se passait aussi hors Séville, avec de nombreux événements ou déclarations sur le financement du développement se déroulant ailleurs mais en lien avec la conférence FfD4. La voix de la Ferdi portée par Jean-Michel Sévérino s’est ainsi fait entendre avec éclat en trois occasions cette même semaine, avec deux évènements de l’Agence française de développement (AFD) sur «l’impact durable à grande échelle des actions de développement» et lors de l’émission «28 minutes» d’Arte sur l’avenir de l’aide au développement.
Selon leurs sensibilités, certains jugeront la Déclaration finale du FfD4 incomplète, moins ambitieuse que celle d’Addis tandis que d’autres la porteront en meilleure estime, mais force est de constater que le contexte géopolitique international était moins porteur d’espoirs qu’en 2015 et que le texte s’en ressent. A cet égard les appels et engagements des pays membres semblent souvent décorrélés du contexte actuel. Le document souligne l'importance de la coopération multilatérale mais sans préciser la profondeur des défis que le multilatéralisme traverse actuellement. Un important point positif toutefois : le texte insiste sur le rôle des banques publiques de développement, le besoin de renforcer leurs capacités et la coopération entre banques multilatérales de développement (BMD) et banques nationales de développement (BND). C’est précisément le thème du rapport de la Ferdi que Bruno Cabrillac a présenté lors de l'événement parallèle organisé par le FICS (Finance in Common) où il a pu être souligné pourquoi et comment les BMD aident et peuvent plus aider les BND à surmonter leurs contraintes en matière de ressources et à mobiliser efficacement des fonds pour des projets de développement durable.
La Conférence FfD4 reste un jalon important auquel les acteurs du développement pourront faire référence des années durant, à l’instar des conférences précédentes d’Addis Abeba ou de Doha, et où nombre d’idées ont finalement été lancées et dont certaines, espérons-le, progresseront et peut-être feront date. Sans attendre 2035, la revue à mi-parcours devra préciser le chemin suivi qui reste aujourd’hui bien incertain!
[1] Sur ses 289 sous-paragraphes, un quart évoquent la mobilisation de ressources, dont près d’une vingtaine traitent explicitement de mobilisation des financements internationaux, et seulement 4 abordent les règles d’allocation, qui plus est de façon peu opérationnelle