Les fantômes des COP, de Glasgow à Charm el-Cheikh­ ­

Comme à la fin de la COP précédente, des déclarations contradictoires se sont fait entendre, les unes pour déplorer l’absence de progrès en ce qui concerne l’atténuation du changement climatique, les autres pour saluer l’engagement pris de créer un fonds spécial pour le financement des pertes et dommages liés à ce changement, engagement qualifié d’historique. Or le fait pour les pays du Sud d’avoir obtenu la création d’un tel fonds pourrait être une victoire à la Pyrrhus.

À Charm el-Cheikh, comme à Glasgow, le problème des financements rendus nécessaires par le changement climatique n’a pas été traité de manière à la fois dynamique et réaliste, ni pour l’atténuation, ni pour l’adaptation. Le problème est peut-être venu de l’ambiguïté initiale de l’engagement pris par les pays du Nord de consacrer 100 milliards de dollars pour les pays en développement en réponse au changement climatique : les 100 milliards étaient bien un « fantôme » à Glasgow, et apparemment l’étaient-ils encore en Égypte !

Bien que soient annoncés des chiffres de réalisation partielle, l’objectif de 100 milliards a un côté mythique (n’est-ce pas le même chiffre qui a été avancé pour la réallocation des DTS ?). Est-il vu comme additionnel par rapport à l’aide publique au développement (APD), ainsi que cela avait été écrit initialement, et contesté depuis ? L’étiquetage évince l’additionnalité, certes difficile à établir, et le chiffre à atteindre, pour être comparé à l’APD, doit être un flux. Mais ce flux censé atteindre les 100 milliards ne doit pas nécessairement être fourni aux mêmes conditions que l’APD. Plus importante encore que la question des conditions financières des flux ainsi répertoriés est celle de leur allocation. La part consacrée à l’adaptation est-elle adéquate ? Et selon quels critères cette part est-elle et doit-elle être répartie entre les différents pays? La part relative du financement de l’adaptation a clairement été jugée insuffisante à la COP 27 et la question des critères de répartition géographique de ce financement n’a pas été vraiment traitée.

Devant la constatation qu’un montant additionnel de financement de 100 milliards par an n’était pas atteint et qu’il n’allait que pour une faible part vers l’adaptation des pays les plus vulnérables, la réaction de ces pays a été de chercher à promouvoir un autre mode d’engagement de la communauté internationale. C’est ainsi que s’est manifestée de façon pressante à Charm el-Cheikh la demande, depuis longtemps formulée et plus clairement réitérée à Glasgow, que les pertes et dommages subis par les pays vulnérables du fait du changement climatique fassent l’objet d’une compensation de la part des pays développés qui, du fait de leurs émissions historiques de CO2, peuvent en être jugés responsables.

Par l’accord pour la création d’un fonds pour la compensation des pertes et dommages liés au changement climatique, les pays qui ont été des historiquement les principaux émetteurs de CO2 (hormis la Chine) reconnaissent leur responsabilité dans le changement climatique, ce qui constitue l’affirmation d’un principe essentiel de justice internationale. C’est en cela que l’accord peut être reconnu comme « historique ». Mais pour mettre en œuvre ce principe, la méthode retenue n’est sans doute pas la meilleure, pour plusieurs raisons. La première est qu’il sera extrêmement difficile, sinon impossible, d’évaluer objectivement les pertes et dommages en faisant la part de ce qui est dû au changement climatique et de ce qui résulte de la nature du climat comme cela était le cas avant son changement. La seconde raison est que les pertes et dommages dus au changement climatique dépendent fortement de la politique qui est menée par les pays concernés sous leur propre responsabilité: les pays pauvres ont le droit de demander le soutien de la communauté internationale pour les pertes dont ils ne sont pas responsables et si l’on ne peut raisonnablement les évaluer, leur droit est de demander ce soutien pour s’adapter au changement climatique de façon à atténuer les pertes et dommages qui risquent d’en résulter. La prévention est aussi importante que la compensation : tout miser sur la compensation crée un aléa moral qui risque d’affecter la mise en œuvre de la résolution. Une troisième raison, liée à la précédente, est que, comme le montant des pertes et dommage excédera certainement et de loin les ressources du nouveau fonds, la régulation se fera par les conditions qui seront mises au versement de la compensation : une conditionnalité forte, intrusive, risque alors d’être l’instrument de régulation, à l’opposé de l’idée même de compensation. De quel montant parle-t-on pour l’instant : les contributions annoncées s’élèvent à 350 millions, soit 0,35% des 100 milliards fantomatiques !

Les pays vulnérables au changement climatique ne risquent-ils pas ainsi de se retrouver avec un dispositif international moins favorable que celui qu’ils auraient obtenu en poussant la discussion dans le sens d’une mobilisation accrue pour atteindre l’objectif des 100 milliards (ou un objectif supérieur) et leur affectation prioritaire à l’adaptation, répartie alors entre pays en fonction de la vulnérabilité physique, c’est-à-dire exogène, au changement climatique ?
Certes la création d’un fonds pour la compensation des dommages a une forte valeur symbolique, bien qu’affaiblie par l’absence d’un principe de contribution en fonction des émissions et par le fait que la Chine n’y soit pas partie. Mais le symbole ne jouera son rôle pour rétablir la confiance entre le Nord et Sud que lorsque auront été clairement établis les principes et critères selon lesquels les ressources seront mobilisées et plus encore ceux selon lesquels elles seront allouées entre les pays.

Les craintes exprimées ci-dessus peuvent encore se dissiper, grâce au caractère encore flou de la résolution. Si les ressources mobilisées sous le canal de ce fonds peuvent être utilisées non seulement ex post et conditionnellement, mais encore, et dirions-nous plus encore, ex ante pour la prévention des pertes et dommages c’est-à-dire pour une véritable politique d’adaptation au changement climatique conduite sous la responsabilité des pays.

L’annonce faite quasi simultanément par le Président de la République française de réunir un sommet en 2023 pour le financement des pays vulnérables pourrait être l’occasion de ramener de manière pragmatique l’initiative de Charm el-Cheikh dans une direction véritablement utile aux pays menacés par le changement climatique.

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