Modérateur : Patrick Guillaumont, président de la Ferdi
Panel :
La troisième et dernière session du cycle de webinaires de l’Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale (Labex IDGM+): «Financer l’Agenda 2030 dans un monde vulnérable» a été organisée le 16 juin 2020.
Cette session dédiée à l'adaptation du financement international des Objectifs de Développement Durable (ODD)aux vulnérabilités nouvelles a permis d'échanger et de comparer les points de vue de huit acteurs reconnus dans le financement du développement et sous différents angles. Elle a été visionnée à ce jour (1er juillet 2020) par plus de 400 personnes en direct ou en différé.
En préambule à la session, Patrick Guillaumont a rappelé que la prise en compte de la vulnérabilité des pays dans l'allocation de l'aide internationale au développement, thème central des travaux de la Ferdi, est encore plus nécessaire dans la situation actuelle. La principale vulnérabilité des pays africains n'est pas seulement la surmortalité associée au covid-19, mais le risque de surmortalité dû à la récession transmise par les pays du Nord. Les pays du Nord ont donc la responsabilité d'aider ces pays à reprendre le chemin de la croissance.
Partant du constat qu’avant même la pandémie de COVID-19, la trajectoire du financement du développement, en particulier pour les pays à faible revenu, était bien en deçà des attentes de 2015, Masood Ahmed a appelé au renforcement de l'action des institutions de financement du développement, tant multilatérales que régionales pour faire face à la crise déclenchée par la pandémie. Devant l'ampleur de la crise telle qu'elle est susceptible d'affecter les pays en développement, le soutien des institutions financières et groupements internationaux sont trop timides et les propositions audacieuses avancées n'ont pas encore été mises en oeuvre. Pourtant, en raison de la difficulté croissante à mobiliser des fonds privés, le financement public du développement, dont les institutions de financement sont les piliers, continuera à jouer un rôle central pour les pays en développement. Il est donc essentiel que ces institutions soient soutenues dans leur action et travaillent de manière coordonnée à l'abri des rivalités entre grandes puissances. Sur ce point, l'Europe a un rôle à jouer en tant que premier fournisseur d'aide au développement et acteur puissant dans les négociations internationales. A condition que les désaccords en son sein ne sapent pas cette possibilité.
Jean-Michel Severino a plaidé ardemment pour que les PME africaines attirent l'attention des acteurs publics internationaux. Le constat est que le secteur productif africain fragile et naissant, constitué du secteur des entreprises informelles et plus récemment du secteur des PME formelles, est en grande difficulté suite aux chocs externes qu'elles ont subis. Or, ces PME sont fondamentales pour atteindre les ODD. Grâce à l'emploi, elles permettent une structuration de la société, l’accès aux besoins essentiels et l’appropriation de la croissance. Non portés aujourd’hui à investir, les financements privés internationaux ne seront d'aucun secours et les mesures prises par les gouvernements parfois importantes pour soutenir leur secteur productif national resteront insuffisantes. En effet, les pays en développement subissent eux-mêmes des contraintes fortes dans le financement de leur budget. Cela renforce le rôle de l'aide publique au développement en appui des politiques publiques des pays en développement. Jean-Michel Severino recommande donc que le soutien international porte son attention sur le secteur privé et que des réponses non-conventionnelles soient apportées. Il s'agit notamment d'empêcher que le secteur privé national domestique devienne le financeur de dernier recours des États, de soutenir le secteur bancaire et celui de la micro-finance et de flécher leur attention sur les PME, et il s'agit enfin d'intervenir directement dans le secteur privé de manière à renforcer les fonds propres des entreprises formelles. Plusieurs instruments existent (fonds souverains, fonds d'investissement privés, associations…) chaque pays ayant ses propres instruments. Alors que la communauté internationale s’est engagée à répondre sur le plan sanitaire, c’est plus sur le terrain micro-économique que des réponses sont maintenant nécessaires.
A son tour, Paul Collier a souligné le rôle essentiel des entreprises locales pour la croissance des pays africains et donc l'importance de développer et préserver le tissu d’entreprises locales. Les entreprises formelles en Afrique ont subi des chocs externes bien plus importants qu'en Europe. En effet, contrairement à l’Europe, les pays en développement en Afrique ne possèdent pas de réseau d’institutions, la possibilité d’emprunter à taux zéro et des mécanismes internes permettant de porter secours aux entreprises qui ont un besoin d’aide financière. Par conséquent, il faut chercher des solutions pour permettre aux pays africains d’emprunter. En Afrique, beaucoup de pays sont fragiles et ils le resteront tant que les économies en place ne subiront pas de révolution. Cette révolution passe par l’emploi. Cependant, les entreprises pionnières doivent faire face à un grand nombre de barrières liées entre autres à des risques élevés, de fortes incertitudes et enfin des coûts très élevés. Le regroupement d'entreprises est une des solutions pour diminuer les coûts. De même, il existe une trentaine d’institutions financières dans le monde pour aider ce secteur mais il n’y pas de forme unique permettant d’apporter une réponse commune. Il faut tendre vers cela et proposer des réformes proactives en concertation avec les gouvernements. Comme les coûts d’entrée pour ces solutions sont élevés, les institutions doivent apporter de l’argent.
Confirmant l'ampleur économique sans précédent et l'effet immédiat pour l'Afrique du choc économique lié au COVID 19, Tidjane Thiam a rappelé en préambule quelques chiffres marquants. Tous les pays du monde ont pris des mesures extraordinaires pour soutenir leurs économies mais les mesures prises par les États ont représenté 0.8% du PIB alors que les mesures prises par les pays développés pour soutenir leurs économies ont été de l'ordre de 9 à10%. A partir de cet exemple Tidjiane Thiam a souligné deux points importants : la question de la dette et la capacité de résilience des pays africains, qui en soi est un objectif fondamental. Un élément clé de la résilience est l’arbitrage entre le long et le court terme. Cela touche aux investissements sociaux –éducation, santé- qui sont des investissements à temps de retour long que le secteur privé peut fournir à des coûts inférieurs à ceux des systèmes occidentaux en termes de PIB. La résilience touche également à la solidarité et au lien social, des éléments forts en Afrique. Mais la résilience suppose aussi de la prudence dans la prise de décision à long terme et notamment à l'égard de la dette. Malheureusement certains pays ont eu ont eu recours à la dette à des conditions pourtant non acceptables et non standards. L'accès au marché des capitaux ne peut être utilisé comme un indicateur de performance économique. Un autre facteur de développement important est celui de l'entrepreneuriat. On sous-estime systématiquement la quantité de création de richesse liée à des entrepreneurs à succès. On est donc face à deux scénarios pour l’avenir. Un premier négatif qui s’intéresse qu’au court terme et deuxième plus positif qui ne laisse personne de côté, met le secteur privé au cœur, traite le rôle de la dette, mobilise des DTS supplémentaires, amène des ressources notamment de l’IDA, fait participer les banques privées ainsi que la Chine. Il faut voir cette crise comme une opportunité pour aller vers des actions et des solutions innovantes.
Laureen Kouassi-Olsson a pour sa part défendu la place d’un grand fonds d’investissement pour les pays les plus vulnérables. Elle remarque que l’Afrique n’est plus aussi vulnérable que dans le passé et a pu observer cette résilience. L’Afrique a aujourd’hui la plus forte croissance économique et un grand historique de gestion des maladies. A l’intérieur de ce continent il y a deux types de pays : les pays fortement dépendants des matières premières comme le Nigéria qui ont beaucoup pâti de la crise et les économies plus diversifiées comme la Côte d’Ivoire qui ont su s’adapter et réorganiser leur économie. L’adaptation est passée par une accélération de la digitalisation dans le secteur financier, une réactivité du secteur public pour soutenir l’économie et le secteur privé avec des aménagements fiscaux et bancaires et enfin le secteur de santé a rééquipé les hôpitaux et mis en place des infrastructures ad hoc pour faire face à la pandémie. Le continent est en profonde mutation et un fonds tel qu’Amethis joue un rôle dans cette mutation en attirant des fonds d’investisseurs autres que les institutions financières de développement. Un tel fonds, grâce à sa connaissance du continent, identifie les opportunités d’investissement et montre qu’il est rentable d’investir en Afrique. La société accompagne et soutient ainsi les industries locales et les champions nationaux et régionaux stratégiques pour le développement du continent. Il doit donc selon elle y avoir plus de fonds d’investissement de ce type et il faut voir cette crise comme une opportunité de réinventer l’économie et le développement du continent.
Évoquant les approches et l’intégration des objectifs de long terme du secteur public français face à la crise du covid-19 en Afrique, Christophe Bories a rappelé que le gouvernement français n’a pas attendu la crise pour avoir une approche différenciée des pays. Il existe déjà des mécanismes pour choisir les pays d’intervention, les thématiques et les outils. Dans les pays fragiles et les PMA le don est privilégié et pour les autres pays des prêts sont mis en place en en fonction des capacités à s’endetter. En situation de crise les choses ont été quelque peu différentes. Il y a eu un arbitrage entre le court terme et le long terme. Typiquement, l’aide du gouvernement français au secteur de la santé en Afrique visait certes la distribution de médicaments mais aussi à maintenir la résilience des États et des entreprises face à la crise. Il fallait aider les États à continuer de fournir des services malgré la crise avec des financements directs mais aussi par la dette. On a observé une mobilisation des créanciers internationaux sans précédent pour une suspension du service de la dette, ce qui a permis aux États de répondre à la crise mais aussi de donner du temps pour analyser les besoins financiers de long terme et l’endettement. Les institutions internationales financières doivent travailler ensemble sur les besoins de chacun avant de s’engager dans les traitements de dette. Une nouvelle émission de droits de tirage spéciaux pourrait réduire les besoins de financement des pays en développement mais les débats perdurent. Sur l’initiative de l’allègement de la dette, il y a des progrès. Trente et un pays ont demandé à en bénéficier et 14 pays ont fini les procédures. Il faut également examiner ce qui pourra être fait en collaboration avec le secteur privé et les banques multilatérales de développement. Enfin, l’État français souhaite maintenir le soutien au tissu de PME et d’entrepreneurs et entrepreneuses africains qui sont une source de croissance.
Au sujet de la recherche en économie du développement, Lisa Chauvet a identifié trois évolutions dans l'agenda de la recherche suite à la crise. Alors que traditionnellement la recherche sur le financement du développement se concentrait sur deux grandes thématiques que sont d'une part les volumes du financement pour les ODD avec notamment les enjeux de mobilisation des ressources et d'autre part la question de l’efficacité de l’aide, la crise économique liée au Covid19 est venue bousculer l'agenda de la recherche en touchant en premier lieu à sa temporalité. Bien que la recherche s’inscrive traditionnellement dans un temps long, la recherche a dû réagir rapidement face à cette crise inédite et le manque de connaissance à son égard. L’objectif est à présent de déterminer les acteurs impactés, les facteurs de résilience et les actions à mener. Ensuite, la crise a fait ressurgir des problématiques anciennes mises de côtés telles que le rôle de la dette et les besoins d’éducation et de santé. Enfin, la crise a ouvert de nouvelles perspectives avec des opportunités à saisir pour changer le modèle et tendre vers un modèle plus en phase avec les ODD, c’est-à-dire un modèle plus vert, plus inclusif et plus local.
Une dernière partie du webinaire a été consacrée aux questions du public. Les intervenants sont ainsi revenus sur le rôle clé de l’agriculture dans le secteur des petites et moyennes entreprises, la dette et l’emprunt à taux zéro en Afrique.