






Date : Mercredi 10 décembre 2025
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L’accentuation des tensions géopolitiques après l’agression russe en Ukraine, puis l’attaque du 7 octobre et l’intervention israélienne à Gaza, l’exacerbation de la concurrence sino-américaine depuis plus d’une décennie et la montée en puissance des BRICS ainsi qu’une politique commerciale agressive des Etats-Unis ont entraîné un recul de la mondialisation coopérative et une fragmentation de l’espace géoéconomique en plusieurs blocs. Cette fragmentation est « un renversement de l’intégration économique mondiale souvent guidée par des considérations stratégiques [1]». Elle est engendrée par des augmentations de droit de douanes, des mesures de restriction des flux commerciaux et financiers, voire des sanctions ciblant le plus souvent des pays « politiquement distants ». Les récentes décisions de l’administration Trump ont cependant compliqué ce paysage, en y introduisant une vision des intérêts économiques américains basé sur les déséquilibres des échanges bilatéraux.
La distance politique est, de manière standard, le plus souvent mesurée par les divergences dans les votes à l’Assemblée générale des Nations Unies. Cet indicateur ne mesure pas toujours en temps réel la reconfiguration parfois rapide des grands blocs géopolitiques, mais elle reste pertinente pour mesurer les évolutions plus inertes des blocs géoéconomiques. Sur cette base, de nombreuses études, notamment des institutions internationales (FMI, OMC…) ont exploré les conséquences déjà perceptibles de cette fragmentation sur les flux commerciaux et financiers et les effets potentiels sur le long terme en termes de croissance et de bien-être. Les conclusions sont convergentes : les flux commerciaux et financiers sont en partie orientés par les affinités géopolitiques ; cela entraîne des pertes de croissance et de bien-être significatives pour l’ensemble du monde. Les pays émergents et en développement sont en général les plus touchés, notamment les pays à faible revenu. Bolhuis et al. (2023)[2], estiment que, dans le scénario d’une fragmentation géoéconomique, la perte de production mondiale serait de l’ordre de 2.3% du PIB mondial, soit la taille de l’économie française. Ces pertes seraient de 2 à 3% pour les pays avancés et les pays émergents, tandis que les pays à faible revenu perdraient plus de 4% de leur PIB.
Cependant, la distance politique peut également de plus en plus se mesurer à travers les politiques commerciales exercées. Les décisions récentes des Etats-Unis semblent refléter pour partie cette cette évolution. En effet, le décret signé par l’administration Trump le 31 juillet 2025 et entrant en vigueur le 7 août, prévoit des droits de douanes différenciés allant de 10 à 50%. Si les nouveaux droits semblent motivés par la volonté de réduire les déséquilibres commerciaux bilatéraux, certains droits semblent répondre à des objectifs pas uniquement commerciaux mais à des objectifs de politique étrangère, de sécurité ou d'autres motifs, qui s’inscrit dans une stratégie « bilatéraliste ». Dans ce contexte, les PFR et les PMA apparaissent à nouveau comme les plus vulnérables. En effet, de nombreux PMA d’Afrique ont été taxés à hauteur de 15%, dont le Lesotho, Madagascar, le Tchad ou encore la RDC. Ces taux, équivalents à ceux fixés à l’UE par exemple, auront un impact bien plus important sur l’économie des PMA et leurs filières stratégiques que celle des pays développés.
Les investissements et les chaînes de valeur permettent d’illustrer cette géoéconomie conflictuelle. Un rapport du FMI[3] montre que les pays émergents et en développement sont plus exposés aux risques de réallocation des IDE en cas de tensions géopolitiques. Ceci, même « s’il existe une variation importante dans la distribution de l’indice et un certain chevauchement entre les pays avancés et les pays émergents (par exemple, 14 % des pays émergents et des pays en développement présentent un indice[4] de vulnérabilité inférieur à la valeur médiane de l’indice pour les pays avancés) ».
Les flux d’aide au développement et d’assistance financière internationale devraient, à l’instar des flux de capitaux privés, également être affectés par la fragmentation, dans un contexte de réductions significatives des budgets d’aide de plusieurs grands bailleurs (Allemagne, États-Unis, France, Royaume‑Uni...) qui s’ajoutent à une redistribution en faveur de l’Ukraine. Les dernières prévisions de l’OCDE font en effet état d’une diminution globale et significative de l’aide, en particulier aux PMA avec une baisse comprise entre 13% et 25% en 2025, et d’une probable continuité de cette tendance les années suivantes.[5] Le contexte géopolitique est un des facteurs explicatifs. Cabrillac et al. (2025)[6] illustrent comment la diminution et la reconfiguration de l’aide américaine après la disparition de l’USAID et du Millenium Challenge Account devraient donner encore plus de poids aux intérêts politiques et économiques américains dans l’allocation géographique de l’aide américaine. Dans les circonstances actuelles, marquées par une montée des contraintes budgétaires des principaux donateurs, il est peu probable que le retrait américain suscite un effort supplémentaire pour se substituer aux États-Unis.Au contraire, on peut redouter que cette décision américaine entraîne une réduction ou une réorientation des flux d’APD provenant d’autres pays, comme en témoigne l’annonce de la France qui souhaite réduire son budget d'APD de 700 millions d’euros pour l’année 2026.
Notes de bas de page :
[1] Aiyar, Shekhar, Anna Ilyina, Jiaqian Chen, Alvar Kangur, Juan Trevino, Christian Ebeke, Tryggvi Gudmundsson, et al. 2023. Geo-Economic Fragmentation And The Future Of Multilateralism. IMF Staff Discussion Note 2023 (001) : 1.
[2] Marijn A. Bolhuis, Jiaqian Chen, Benjamin R Kett. 2023. Fragmentation In Global Trade : Accounting For Commodities . IMF. 24 mars 2023.
[3] Perspectives de L’économie Mondiale : Une Reprise Cahoteuse, Avril 2023. IMF. 11 avril 2023.
[4] Indice agrégé créer par le FMI composé d’un indice de pouvoir de marché, géopolitique et stratégique (Chapitre 4, page 105 du WEO 2023)
[5] OCDE (2025), Réductions de l'aide publique au développement : projections de l’OCDE pour 2025 et à court terme, 4 juillet 2025.
[6] Cabrillac et al 2025. Comment la Fermeture de L’USAID Va Affecter L’allocation de L’aide Publique Au Développement Mondiale. 26 juin 2025
L’objectif de ce séminaire est de préciser ce constat en confrontant les points de vue des institutions internationales, d’économistes et de décideurs des pays les plus vulnérables, et de répondre aux questions qu’il soulève :