(English version on https://voxdev.org)
Les ménages agricoles font face à différent types de risques qui peuvent générer de fortes fluctuations dans leur revenus et consommations. Pour les protéger de ces risques, de nombreux gouvernements on fait des progrès importants en développant et commercialisant des produits formels d’assurance. Cependant, aussi bien dans les pays pauvres que riches, la valeur attribuée par les individus à l’assurance est typiquement très basse (Finkelstein et al. 2019). Les initiatives pour donner de l’information, offrir des subventions, et augmenter la confiance dans les institutions financières ont eues des succès limités (Cole et al. 2013 , Banerjee et al. 2019). De nombreux pays ont en conséquence abandonné leurs efforts pour vendre des politiques d’assurance et ont rendu l’assurance gratuite ou obligatoire.
Une des raisons pour laquelle le bénéfice de l’assurance est difficile à appréhender est que les expériences positives avec l’assurance n’ont lieu que quand se produit un choc négatif assurable, ce qui est rare. En plus de cela, la recherche sur l’assurance a montré que même ce qui peut être appris de ces chocs négatifs est limité du fait que leur influence sur les comportements diminue dans le temps (Cai et Song, 2017). La réalité est que l’on sait peu de choses sur la façon de concevoir des politiques qui induisent l’apprentissage sur la base d’expériences avec l’assurance.
Pour progresser sur la connaissance de ces sujets, nous étudions le cas d’une nouvelle assurance indicielle pour les aléas climatiques qui affectent les producteurs de riz en Chine. Nous mettons en place une expérience où nous introduisons de façon conjointe deux interventions : une subvention à l’assurance pour encourager l’adoption et les expériences personnelles, et un programme d’éducation financière pour permettre aux producteurs de comprendre les principes de l’assurance. Nous observons l’adoption de l’assurance après deux et quatre années pour mesurer les impacts de court et long terme de ces deux instruments, leurs interactions et leurs façons d’opérer.
L’expérience s’étend à 134 villages avec environ 3.500 ménages en Chine rurale. Pendant la première année, nous avons randomisé les subventions au niveau du village en offrant soit une subvention partielle de 70% du prix actuariellement juste soit une subvention complète. Nous avons aussi offert un programme d’éducation financière sur la façon dont l’assurance fonctionne à des ménages choisis au hasard parmi 86 villages eux-mêmes choisis au hasard. Pendant la deuxième année, nous varions le prix de l’assurance au niveau des ménages avec des subventions allant de 40% à 90%.
Nous trouvons que les ménages qui reçoivent une subvention complète la première année ont une plus forte demande pour l’assurance l’année suivante. Du fait que l’assurance est un bien qui se comprend par l’expérience, l’effet d’une subvention sur la demande dépend de façon cruciale de l’expérience que les producteurs ont avec le produit. Pour cela, nous explorons l’impact d’un aspect important de l’expérience que les producteurs peuvent avoir avec l’assurance : l’effet d’avoir reçu le versement d’une indemnité (effet d’une expérience directe) ou d’avoir observé des personnes qu’ils connaissent recevant des indemnités (effet d’une expérience sociale) sur l’utilisation future de l’assurance.
Considérés ensemble, ces résultats suggèrent que l’impact des subventions sur la prise d’assurance passe par la possibilité d’augmenter l’opportunité de recevoir ou d’observer le versement d’indemnités (effet d’envergure), bien qu’avec un arbitrage du fait que l’effet du paiement est moindre quand l’assurance a été obtenue gratuitement (effet d’attention). Cet arbitrage entre envergure et attention est rendu plus complexe par le fait que payer pour l’assurance quand il n’y a pas de versement d’indemnité qui lui fasse suite crée un fort effet de découragement qui diminue la prise d’assurance l’année suivante. On trouve cependant qu’il n’y a pas d’effet d’ancrage des prix avec l’utilisation des subventions, par lequel une augmentation de la prime pourrait faire baisser la demande après subvention. En fin de compte, l’effet d’envergure des subventions sur l’observation de versements d’indemnités domine les différents arbitrages pour induire une augmentation de la prise d’assurance.
Analysant maintenant les effets à long terme du versement d’indemnités pendant quatre années sur la prise d’assurance, on trouve qu’il y a hétérogénéité d’impact sur la prise d’assurance entre ménages selon leur niveau initial de connaissance financière. Plus spécifiquement, pour les ménages choisis au hasard qui ont bénéficié d’une éducation financière la première année, le fait de recevoir une indemnité leur permet d’avoir un effet immédiat d’apprentissage qui influence ensuite de façon permanente leur prise d’assurance. Pour eux, le versement d’une indemnité renforce leur compréhension du fonctionnement de l’assurance et de ses bénéfices. Par contre, pour les ménages qui n’ont pas reçu de formation financière, un tel apprentissage n’a pas lieu. Ils continuent donc à mettre à jour leur décisions de prise d’assurance sur la base d’expériences variées de désastres et de retours à l’achat d’assurance. Pour qu’ils maintiennent un niveau élevé de prise d’assurance, il faudrait continuer à leur donner des subventions lorsqu’il n’y a pas de réalisations de désastres climatiques.
Les résultats de cette expérience de terrain à long terme et le contenu de l’éducation financière offerte suggèrent une nouvelle explication à savoir pourquoi promouvoir la prise d’assurance s’est avéré si difficile à faire. Le caractère stochastique des chocs climatiques et des versements d’indemnités qui peuvent en résulter donnent chaque année de l’importance soit aux coûts soit aux bénéfices de l’assurance, ce qui rend difficile pour les producteurs qui ont peu de connaissances financières de comprendre le bénéfice net de ce produit financier.
L’implication pour la formulation de politique est que pour rendre une politique de subventions à l’assurance effective pour promouvoir la prise volontaire à long terme de ce produit financier, celle-ci devrait être combinée avec d’autres interventions telles que l’éducation financière adaptée aux producteurs pour améliorer leur compréhension initiale de l’assurance. C’est ce qui leur permet d’apprendre de façon durable des expériences avec ce produit. Cette leçon peut être appliquée à une multiplicité d’autres produits et activités qui impliquent l’incertitude dans la décision d’adoption et qui requièrent du temps pour expérimenter avec les gains et pertes qui leur sont associés.
Banerjee, A, A Finkelstein, R Hanna, B Olken, A Ornaghi et S Sumarto. 2019. “The challenges of universal health insurance in developing countries: Evidence from a large-scale randomized experiment in Indonesia”, NBER Working Paper 26204.
Cai, J et C Song. 2017. “Do disaster experience and knowledge affect insurance take-up decisions?”, Journal of Development Economics 124: 83–94.
Cole, S, X Giné et J Vickery. 2017. “How does risk management influence production decisions? Evidence from a field experiment”, Review of Financial Studies 30(6): 1935–70.
Finkelstein, A, N Hendren et E Luttmer. 2019. “The value of medicaid: Interpreting results from the Oregon Health Insurance Experiment”, Journal of Political Economy 127(6): 2836–74.