Le Covid-19 en Afrique Sub-saharienne, chronique d’un désastre économique annoncé, mais pas assuré.

Selon les statistiques de l’OMS au 3 mai, l’Afrique Sub-saharienne (ASS) était, de loin, la région la moins touchée par la pandémie de Covid-19 : moins de 0,8% des cas et de 0,4% des décès enregistrés, bien que le virus ait frappé tous les pays. Même en faisant la part du biais lié à une sous déclaration, force est de constater que la pandémie a pour l’instant largement épargné l’ASS, même si tous les pays sont désormais touchés. La plupart des pays ont pris des mesures sanitaires, notamment de fermeture des frontières, mais seulement une minorité a mis en place des mesures de confinement strictes et contraignantes pour contenir l’épidémie. Selon l’indice développé par l’Université d’Oxford pour mesurer la rigueur de ces mesures, seul trois pays ont un score supérieur à 90 (France : 94) et seulement 9 ont un score supérieur à 60 (Canada : 60) pour la dernière semaine d’avril.

Pourtant, les organisations internationales ont tiré le signal d’alarme sur les potentiels effets économiques et sociaux du Covid-19 en Afrique sub-saharienne. Dans son analyse des perspectives régionales en ASS, publié le 6 avril, le FMI estime que la pandémie est « une menace sans précédent pour le développement ». La Banque mondiale, dans son analyse semestrielle publiée le 9 avril, qualifie les effets économiques de l’épidémie de « dramatique ». Ces deux institutions ont de fait très fortement revu à la baisse leurs prévisions pour l’Afrique sub-saharienne. Pour le FMI, la région connaitrait une récession historique de 1,6% en 2020, une révision à la baisse de plus de 5% par rapport aux perspectives dessinées en octobre 2019, sensiblement du même ordre que pour l’ensemble de l’économie mondiale. La Banque mondiale prévoit quant à elle une récession encore plus sévère, avec un recul du PIB allant selon les scenarii de -2,1% à -5,1%.

La Banque mondiale fonde cette analyse sur la conjonction de trois facteurs : (i) les perturbations du commerce international qui ont entraîné une forte baisse des prix du pétrole et dans une moindre mesure des autres matières premières et touchent également les pays les plus intégrés aux chaînes de valeur mondiales, comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou l’Ethiopie, (ii) le tarissement des sources de financement extérieur : les flux de capitaux et notamment les investissements dans le secteur minier et pétrolier, les recettes du tourisme, les remises des travailleurs émigrés et (iii) les effets directs de l’épidémie et des mesures sanitaires prises pour l’enrayer qui pourraient avoir des conséquences encore plus dévastatrices sur l’économie informelle, particulièrement développée en ASS. Le FMI ajoute que ce choc intervient dans un contexte de vulnérabilité accrue par la montée de l’endettement interne et externe, la rémanence de graves problèmes sécuritaires, notamment au Sahel et de récentes catastrophes naturelles dans l’Est de l’Afrique (sécheresse, inondations, criquets). 

Cette solide argumentation mériterait d’être nuancée. En premier lieu, l’ASS est aujourd’hui encore, comme le montrent les statistiques de l’OMS relativement épargnée par la pandémie de Covid-19. D’ailleurs, le site régional Afrique de l’OMS faisait sa une, début mai, sur la campagne de vaccination contre la polio. Vue par un esprit rationnel, l’économie informelle africaine peut apparaître particulièrement vulnérables à un confinement ou à des mesures de distanciation sociale tels que le pratiquent les économies développées, mais c’est oublier les capacités d’adaptation et de rebond d’un secteur informel qui, dans beaucoup de pays a déjà fait l’expérience récente de crises graves. Le recul historique des remises de travailleurs émigrés (le chiffre de 20% est avancé par la Banque mondiale) et les difficultés budgétaires des Etats devraient cependant limiter l’irrigation de cette économie informelle.

Deuxièmement, le choc des termes de l’échange est très brutal pour les pays exportateurs de matières premières et notamment de pétrole. Comme en 2009 et en 2016, ceux-ci pourraient souffrir non seulement de l’effondrement des prix, mais encore d’une baisse de la production et des investissements pétroliers. La récession dans ce groupe de pays pourrait selon le FMI ou la Banque mondiale atteindre ou dépasser 3%. Les autres pays qui bénéficient au contraire de prix de l’énergie plus bas, pourraient au contraire figurer parmi le groupe restreint d’économie qui ne connaîtraient pas de récession en 2020, comme l’affirme le FMI lui-même. La marginalité persistante de l’Afrique dans les chaînes de production mondiales devrait en effet comme lors de la crise de 2009 amortir les retombées de l’effondrement de la demande mondiale et les perturbations du commerce international.

Enfin, les organisations internationales soulignent à juste titre le risque de crise de balance des paiements, lié, outre au choc sur les termes de l’échange, au recul des remises de travailleurs émigrés (la Banque mondiale prévoit un recul historique de 23%) et au retournement des flux de capitaux. Dans un contexte de surendettement interne et externe d’une majorité des pays d’ASS avant la crise (endettement moyen historiquement élevé à 57% du PIB), la capacité de réponse des politiques monétaires et budgétaire s’en trouve fortement réduite. Toutefois, la réaction de la communauté financière internationale a été extrêmement rapide, notamment à l’égard des pays pauvres. Entre le début du mois d’avril et le 4 mai, le FMI a consenti 8,3 milliards d’USD de prêts à 22 pays d’ASS, pour l’essentiel à travers sa facilité de crédit rapide. La Banque mondiale, dans le même temps a débloqué des financements concessionnels d’urgence pour 21 pays d’Afrique sub-saharienne. Enfin, la communauté internationale s’est mis d’accord pour un moratoire sur le service de la dette des pays pauvres à compter du 1er mai, qui devrait profiter essentiellement à l’ASS (une quarantaine de pays concernés). L’ampleur et la rapidité de cet effort devrait limiter les risques de crise de balance des paiements, comme ce fut le cas lors de l’épidémie d’Ebola.

Comme partout dans le reste du monde, la situation économique et financière en ASS reste subordonnée au développement de la pandémie. Cependant, si celle-ci devait rester contenue, les conséquences économiques de la crise sanitaire mondiale sur les pays africains non exportateurs de pétrole pourraient être moins catastrophiques qu’annoncé, même si le coût social sera élevé.