La Chaire Confiance Numérique de la Ferdi a organisé cette conférence internationale pour partager les principales conclusions de ses travaux accomplis ces quatre dernières années et ayant abouti à la rédaction par Jenny Aker (Tufts University, Ferdi) et Joël Cariolle (Ferdi) du livre « Mobile phones and development in Africa: does the evidence meet the hype ? », publié aux éditions Palgrave Macmillan.
Par la publication de ce livre, la Chaire entend réaffirmer sa conviction que la confiance numérique est une condition de l’émergence africaine, lorsque les acteurs publics et privés sont en mesure de s’approprier les technologies numériques pour satisfaire les besoins de la population et promouvoir une dynamique endogène de développement. Cette confiance repose principalement sur l’intégrité, la taille et la qualité du réseau de télécommunications, ainsi que sur la fiabilité du partage d’information. Ainsi, la diffusion des technologies numériques, leur fiabilité, et leur application à grande l’échelle, témoins d’une confiance numérique accrue, conditionnent l’impact du numérique tant sur le bien-être des populations, notamment des femmes, sur le développement des capacités productives, que sur le bon fonctionnement des institutions et administrations publiques.
La conférence avait pour objectif de contribuer aux débats sur le processus de digitalisation du continent africain et de formuler des recommandations sur les moyens de favoriser le passage à l’échelle de certaines innovations numériques pour que le processus de digitalisation impulse une dynamique favorisant l’émergence dans la région ouest africaine. Les échanges lors de la conférence ont combiné l’apport de connaissances académiques récentes sur le sujet et l’expérience des praticiens, tant publics que privés.
Au cours des vingt dernières années, le téléphone mobile est devenu un lien vital avec le « monde extérieur ». En offrant un accès à des services omniprésents tels que WhatsApp, l'e-mail et les réseaux sociaux comme Twitter, Instagram et TikTok, le téléphone mobile est devenu un objet dont il est difficile de se passer ou juste de se séparer. Alors que nous utilisions autrefois les lignes téléphoniques fixes pour communiquer avec des amis et que nous nous rendions physiquement en magasin pour payer nos courses en espèces, désormais nous communiquons, accédons à des informations, achetons des biens et services, ou trouvons du travail, à distance et d'un simple toucher d'écran.
Ainsi, dans les pays industrialisés ayant un secteur privé formalisé, des infrastructures développées et des administrations publiques fonctionnelles, ces avancées technologiques représentent des innovations « de confort », améliorant leur fonctionnement. Dans les pays à faible revenu et plus particulièrement dans leurs zones rurales, la diffusion des technologies numériques joue un rôle davantage structurant. C’est particulièrement le cas de la téléphonie mobile qui, dans certaines zones reculées, constitue souvent la première infrastructure de communication moderne.
Dans le monde, il y a maintenant plus de 4,9 milliards d'abonnés au téléphone mobile, dont 1,7 milliard en Asie, 460 millions en Amérique latine et environ 495 millions en Afrique subsaharienne (GSMA, diverses années). L'adoption a eu lieu dans des milieux socio-économiques et politiques différents, dans des pays aux langues multiples, avec différents fournisseurs de services de téléphonie et d’internet mobile et, dans de nombreux cas, sans investissement substantiel du secteur public.
Pourquoi un tel engouement ? Tout simplement parce que le téléphone mobile (basique ou intelligent) est un dispositif de communication, reliant les individus entre eux, donnant accès aux informations, aux marchés et aux services, à des coûts nettement inférieurs aux alternatives traditionnelles (Aker et Mbiti 2010, Aker et Blumenstock 2014, Aker, Ghosh et Burrell 2016). En Tanzanie, les agriculteurs d'Arusha peuvent envoyer un SMS pour connaître les prix du maïs et du tournesol dans la capitale, à dix heures de bus. Au Niger, la technologie du téléphone mobile a réduit la dispersion des prix sur les marchés des céréales et du niébé, principalement en améliorant la circulation de l'information et l'arbitrage spatial (Aker 2010). Au Nigeria, les travailleurs journaliers peuvent appeler des contacts au Bénin pour se renseigner sur les opportunités d'emploi sans faire le trajet coûteux de 40 dollars. Au Kenya, l'introduction de l'argent mobile a permis aux ménages affectés par les chocs d'accéder aux transferts d'argent et de lisser leur consommation (Jack et Suri 2014). La multiplication d’innovations numériques dans tous les secteurs de l’économie peut induire une dynamique de développement endogène et de réduction des inégalités sociales, économiques, mais aussi de genre.
Pourtant, malgré ce potentiel, les preuves de ces 'réussites' se limitent à des secteurs, pays et technologies spécifiques, et à plus grande échelle leur impact sur le bien-être et les moyens de subsistance des individus restent encore à démontrer (Abate et al, 2023). Par ailleurs, le processus de digitalisation, parce qu’il repose largement sur les dotations en capital physique et humain des pays et populations, peut être un facteur d’aggravation d’inégalités préexistantes et persistantes, telles que les inégalités spatiales entre zones urbains et zones rurales ou les inégalités de genre (Alozie et Akpan-Obong, 2016).
La question du rôle de la technologie de l'information dans le développement reste donc posée. Si un nombre croissant de recherches suggère que les téléphones mobiles font exactement ce qu'ils avaient promis - réduire les coûts de recherche, augmenter l'accès à l'information et aux services financiers, et rendre les marchés plus efficaces, les initiatives du secteur public et privé n'ont pas totalement répondu aux attentes, surtout dans les zones rurales (Abate et al, 2023) ou en termes d’émancipation et d’autonomisation des femmes (Alozie et Akpan-Obong, 2016).
Les 4 panels ont révélé que la révolution numérique en Afrique est une réalité tangible, notamment avec l’essor de la téléphonie mobile, et que la transformation digitale est devenue indispensable pour tous les acteurs économiques. Cependant la diffusion des technologies du numérique n’est pas sans difficultés. Entre potentiel, opportunités et défis, il ressort que la confiance numérique est une condition de l’émergence africaine. Voici quelques conclusions de cette conférence internationale :
Dans le premier panel, le contexte général est défini avec la présentation du livre sur la téléphonie mobile et le développement en Afrique. Ce livre explore le potentiel du numérique en Afrique, évalue les avantages et les risques de la téléphonie mobile sur la vie et les moyens de subsistance des populations. Adoptant une approche pluridisciplinaire, il synthétise les résultats de la recherche et les preuves empiriques concernant les impacts anticipés de la téléphonie mobile, recense les initiatives de développement numérique et leurs effets, et propose un cadre d'intervention pour le développement numérique. Ainsi, la téléphonie mobile a des effets notables sur l'épargne, la réduction de la vulnérabilité aux chocs, le capital humain, les revenus du commerce, les investissements, la pauvreté, la mortalité et les revenus fiscaux. Les populations bénéficient de ces avantages, mais il est impératif d'investir dans l'éducation numérique. Le partage d’expérience de professionnels soutient bien que la technologie répond à des défis démographiques, économiques et sociaux du continent. Cependant les entreprises, notamment celles de la tech, reçoivent moins d’investissement en capital. Cet appel a fait réagir les représentants des institutions sous-régionales (UEMOA, BAD) présents à cette conférence qui assurent que la réglementation et des financements accompagnent les États pour leur permettre de tirer parti du numérique. Le secteur privé, en s’investissant dans, et avec la technologie, est assuré de relever les défis de développement.
L'intégration du numérique dans les entreprises a été examinée lors du deuxième panel, mettant en lumière la manière dont la digitalisation pourrait soutenir les PMEs en Afrique subsaharienne. Les économies africaines sont largement dynamisées par les PMEs, et plusieurs initiatives privées illustrent concrètement leur appropriation numérique. Betastore, par exemple, est une plateforme digitale multiservice destinée aux entreprises informelles, leur offrant l’information sur les activités de leur chaîne de valeur facilitant ainsi le commerce. Agristore se distingue par ses services électroniques offerts aux agriculteurs qui encouragent la transition numérique dans le secteur agricole, tandis que Djamo propose des services financiers numériques de crédit et d'épargne. La digitalisation transforme la structure des marchés en facilitant les interactions entre les acteurs, fournisseurs, consommateurs ou gouvernement. Elle numérise les activités des entreprises et met à disposition des données essentielles pour le secteur financier. Le numérique renforce l’activité des entreprises et participe à la formalisation du secteur informel, avec des implications significatives sur la mobilisation des recettes. Les échanges ont également permis d'explorer des réponses quant au financement de la transformation technologique à savoir l’utilisation de ressources publiques, le recours aux partenariats publics-privés et la mutualisation au sein des pays au niveau sous-régional des coûts d'installation du numérique.
Le troisième panel montre que la digitalisation offre à l'État une opportunité de gestion optimale des ressources et de mobilisation des recettes, comme illustré par le e-impôt en Côte d'Ivoire et la solution TresorPay -Tresor money. Cette plateforme numérique centralisée améliore l'efficacité du recouvrement des recettes et du paiement des dépenses, proposant par la même occasion des services publics accessibles. En ce qui concerne l’administration douanière, la numérisation facilite la collecte de données pour analyser, faciliter et réduire les coûts du commerce international, mais nécessite une préparation adéquate des administrations fiscales à la transformation numérique. Dans quelle mesure les opérateurs téléphoniques pourraient-ils soutenir l'État dans la mobilisation des recettes ? Les opérateurs mobiles disposent d'un vaste réseau, touchant des segments de la population difficiles à atteindre pour l'administration fiscale. L’entreprise Orange, par exemple, offre une solution de mobile money en pleine expansion, dont l’Etat peut bénéficier des retombées. Cependant, il est noté que les opérateurs de téléphonie mobile sont soumis à des taxes élevées, ce qui contribue en partie aux coûts élevés pour les consommateurs finaux. Trouver un équilibre approprié entre le secteur privé et le secteur public en matière de taxation dans le contexte de cette digitalisation revêt une importance cruciale.
Le quatrième panel conclut la conférence avec le sujet de l'internet et la démocratie en Afrique subsaharienne, abordé d'un point de vue scientifique. L'internet, comme source d’information, offre beaucoup plus de transparence sur les questions de gouvernance politique, mais il expose également les citoyens au risque de mauvaise information et de perception erronée de la politique. Les résultats empiriques mentionnent une relation négative, suggérant que l'internet influence à la baisse les préférences et la perception de la démocratie. L'ambivalence de l'internet en tant que source d'information appelle ainsi à une utilisation éclairée. Pour contribuer à cela, la garantie d'une information fiable, la promotion de la participation civique et la vérification de l'information grâce à l'éducation aux médias sont essentielles. La confiance émerge comme un élément central de cette discussion sur le numérique et le politique.
Les échanges ont mis en lumière des innovations numériques qui participent au dynamisme numérique du continent africain. Il est impératif d'encourager et de soutenir ces initiatives afin de renforcer la confiance que les populations peuvent accorder au numérique. Il incombe aussi à tous les acteurs économiques de saisir cette révolution numérique pour façonner un avenir inclusif et prospère.
09:30-10 :00
Ouverture
10h-12h00
Présentation du livre Mobile phone and Development in Africa : Does the Evidence meet the hype? par les auteurs Jenny Aker, Professeur à Tufts University, Senior Fellow Ferdi, et Joël Cariolle, Chargé de recherche Ferdi.
Discussion :
Modération : Lewis Landry Gakpa, Enseignant-chercheur à l'ENSEA
14:00-15:30
L'innovation numérique au service de l’entreprenariat et de l'entreprise africaine
Discussion :
Modération : Lambert N’galadjo Bamba, Conseiller spécial aux Ministères Économie et Finances de Côte d'Ivoire, Professeur à l'Université Félix-Houphouët-Boigny / UFRSEG - CIRES
16:00-17:30
Mobilisation des recettes publiques et digitalisation
Discussion :
Modération :
10:00-12:00
Technologie d'information ou de mésinformation? Internet et démocratie en Afrique sub-saharienne
Présentation de l’article (Mis-)information technology : Internet use and perception of democracy in Africa par Yasmine Elkhateeb, Université Paris 1 et Université du Caire. Co-auteurs : Joël Cariolle, Ferdi et Mathilde Maurel, Université Paris 1
Discussion :