📌Mardi 3 octobre 2023, 14h30 – 16h30
Présentiel
Sommet de l'élevage Grande Halle d'Auvergne - Plaine de Sarliève
63 800 Cournon d'Auvergne
Salle de conférence n°6
En ligne
Sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=z6xdv2HsqGQ
Avec un prix payé à l’éleveur environ deux fois supérieur au prix pratiqué dans les grands pays producteurs de lait, la chaine de valeur du lait local au Sahel ne peut être compétitive face aux importations et ce malgré le dynamisme de l’industrie laitière. Ce déficit de compétitivité du lait local s’explique par la faible productivité des troupeaux associée à un système d’élevage de type pastoral. Outre son importance sur le plan économique et social, ce système d’élevage fondé sur la mobilité des troupeaux et l’exploitation au sein de vastes espaces des ressources naturelles en eau et en pâturages et des résidus de cultures, a pour atout un impact environnemental faible, voire positif, avec un bilan carbone à l’équilibre. En revanche ce mode d’élevage extensif implique l’utilisation de races bovines peu performantes en termes de production laitière, une forte saisonnalité de la production de lait et de multiples conflits pour l’accès aux ressources. Avec l’augmentation de la demande pour les produits laitiers et une pression croissante sur les ressources pastorales, les pratiques évoluent mais la modernisation des élevages se heurte au problème de la disponibilité et de l’accessibilité des aliments pour bétail.
Différents aspects concernant l’alimentation du bétail en lien avec la transformation des systèmes d’élevage ont été abordés au cours de cette table ronde, parmi lesquels :
Modérateur
Patrick Plane, Directeur de recherches, CNRS-CERDI
Professeur associé, Université Clermont Auvergne, Responsable du programme Observatoire de la compétitivité durable, Ferdi.
Discutants
Catherine Araujo Bonjean, Économiste, Chercheuse CNRS-CERDI, Conseillère scientifique de la Chaire "Politiques de modernisation agricole en Afrique". Alimentation du bétail, compétitivité et coordination des activités
Guy-Florent Ankogui-M’Poko, Géographe, Directeur Scientifique, PRASAC-CEMAC. L’élevage mobile et l’accès aux ressources pastorales dans le contexte sahélien
Amir Adoudou Artine, Directeur Général de Haraz Group, Tchad. L’intégration élevage - production fourragère au sein de l’entreprise agro-industrielle
Issa Adoudou Artine, Directeur Général de Artine G.I.E Industrie Agroalimentaire, Tchad. L’alimentation du bétail en élevage laitier intensif : contraintes et opportunités
Diori Maïmouna Malé, Directrice Générale de la Laitière du Sahel, Niger. Renforcer les capacités des centres de collecte pour sécuriser l’offre de lait : l’expérience de la Laitière du Sahel
Bagoré Bathily, Directeur Général de la Laiterie du Berger, Sénégal. Permettre aux éleveurs d’accéder aux aliments du bétail : l’expérience de la laiterie du Berger
Guillaume Duteurtre, Géographe, Directeur de l’UMR Selmet, Cirad. Les partenariats entre éleveurs et firmes privées pour un développement durable de la production laitière en Afrique
En réponse à la faible productivité du cheptel et aux contraintes de plus en plus fortes qui pèsent sur l’élevage pastoral sahélien, les pratiques évoluent mais la modernisation des élevages se heurte au problème de la disponibilité et de l’accessibilité des aliments pour bétail.
Partant de ce constat, les chercheurs et les opérateurs sahéliens de la transformation laitière réunis par la Ferdi ont débattu des contraintes qui pèsent sur les ressources pastorales, du coût économique et social de l’intensification de la production laitière et des innovations organisationnelles qui se dessine en réponse aux difficultés rencontrées.
Catherine Araujo Bonjean, Économiste, Chercheuse CNRS-CERDI, Conseillère scientifique de la Chaire "Politiques de modernisation agricole en Afrique".
La question de l’alimentation du bétail s’insère dans la problématique plus large de la compétitivité de la chaine de valeur du lait au Sahel. D’une façon générale, la non-compétitivité des produits à base de lait local est avant tout la conséquence de la rareté et de la cherté de la matière première.
Par exemple, une étude réalisée au printemps 2023 au Burkina Fao a montré que le prix d’achat du lait à l’éleveur, de l’ordre de 500 Fcfa, est environ 60 % plus élevé qu’en France. A cela s’ajoute les fréquentes pénuries de lait pendant la saison sèche qui amènent les laiteries à tourner au ralenti voire à fermer une partie de l’année, grevant davantage encore le prix de revient des productions locales. Pour gagner en compétitivité la productivité du cheptel laitier doit augmenter, ce qui implique une transformation, plus ou moins profonde, des élevages et du mode d’alimentation du bétail.
Aujourd’hui, le système dominant reste un mode d’élevage extensif, les animaux sont mobiles et sont conduits vers les ressources naturelles en eau et en pâturage qui constituent l’essentiel de leur ration alimentaire. Le passage à un élevage plus intensif et moins mobile implique de développer la production d’aliments pour bétail sous une forme qui puisse se stocker et être transportée : aliments concentrés à base de tourteaux de coton ou de son de céréales, et fourrages conservés (foin, ensilages). Ici se situe le cœur du problème, un problème qui n’est pas seulement technique mais aussi économique, social et environnemental.
Le coût de la production fourragère n’est pas seulement financier, c’est aussi un coût économique et social. Outre la question de l’accès à la terre, l’utilisation des terres pour la production d’aliments bétail, n’est pas nécessairement la meilleure utilisation possible des terres sur le plan économique. De plus, cet usage des terres à des fins d’alimentation du bétail, est difficilement acceptable sur le plan social dans des régions où sévissent pauvreté et insécurité alimentaire.
L’intensification de la production laitière par la complémentation en aliments concentrés ou en fourrages pose aussi la question de l’organisation de la filière et de l’intégration des activités en amont de la chaine de valeur. Si le coût d’accès au marché de l’aliment-bétail est trop élevé, la contractualisation avec une laiterie peut être pour l’éleveur une voie d’accès économiquement efficace à l’aliment-bétail. Dans ce cas, la laiterie fournit des aliments sur la base d’un crédit remboursable sur les ventes de lait. Une autre possibilité pour les éleveurs est de rechercher les complémentarités entre agriculture et élevage et intégrer la production de fourrages à leur système d’élevage. Si cette voie est trop coûteuse ou la contrainte financière trop forte pour les éleveurs, une autre option est l’intégration verticale des activités au sein de l’entreprise industrielle. Dans ce cas, le transformateur (la laiterie) intègre production végétale, production animale et transformation laitière. L’accès aux intrants de production est un des facteurs déterminant du mode de coordination des acteurs au sein de la chaine de valeur : coordination par le marché, contractualisation ou intégration verticale. Mais ce n’est pas le seul facteur et la solution efficace est intrinsèquement liée aux spécificités de l’environnement dans lequel évoluent les élevages.
Guy-Florent Ankogui-M’Poko, Géographe, Directeur Scientifique, PRASAC-CEMAC.
L’élevage pastoral permet de valoriser de façon durable d'une végétation naturelle fragile et irrégulière dans une région semi-aride, le Sahel, qui couvre environ 7 millions de km² entre l’océan Atlantique et la mer Rouge. La saison sèche dure de 8 à 9 mois, et les précipitations sont marquées par une forte variabilité spatio-temporelle dont dépend l’abondance des ressources agropastorales. Des millions de personnes en dépendent pour leur subsistance.
On estime à 50 millions le nombre de pasteurs sur une population de l’ordre de 120 millions d’habitants pour un cheptel de plus de 200 millions de d’animaux (bovins, petits ruminants, chameaux, etc.). Pour ces éleveurs, l’élevage est la principale voie d’accès à l’alimentation, directement à travers l’autoconsommation de lait et viande et indirectement par les revenus générés par les ventes des produits de l’élevage.
La mobilité du bétail est essentielle pour la production animale et la sauvegarde du cheptel. Elle permet en effet aux animaux d’accéder aux pâturages de bonne qualité, à de meilleures conditions d’abreuvement et aux éléments minéraux à travers les cures salées, de s’éloigner des zones affectées par les maladies animales, d’avoir une meilleure productivité et d’échapper aux situations de crises localisées causées, par exemple, par des sécheresses.
La mobilité saisonnière ou quotidienne entre les pâturages et les points d’eau peut être locale, nationale ou transfrontalière. Dans les cas de mobilité nationale et transfrontalière, les troupeaux et les hommes se dirigent vers les zones humides ou les fleuves et vers les zones agricoles après la récolte ou dans les vastes territoires mis en jachères longues. L’essentiel de ces déplacements se font dans le sens Nord-Sud, vers les zones soudaniennes (Cameroun, RCA…), voire jusqu’aux pays côtiers : Benin, Togo, Ghana, Cote d’Ivoire. A travers ces parcours qui intègrent différents lieux (couloirs, aires de transit ou de repos, points d’eau et marchés stratégiques, etc.) l’élevage pastoral entre en interaction avec l’agriculture : les animaux participent à fertilisation des sols et se nourrissent des résidus de cultures.
Mais les contraintes auxquelles font face les éleveurs pour accéder aux ressources pastorales sont nombreuses et de plus en plus fortes : accentuation de la variabilité climatique, augmentation de la pression sur les ressources en raison de la croissance de la population et du cheptel, multiplication des conflits pour l’usage des terres entretenu par la non-application ou l’inadéquation des législations pastorales au niveau national et régional, et plus récemment la montée de l’insécurité pour les biens et des personnes. Ces contraintes menacent la pérennité de l’élevage pastoral et l’équilibre social, économique et environnemental auquel il participe.
Les questions autour de ce mode d’élevage sont nombreuses. L’élevage pastoral peut-il s’adapter aux mutations de son environnement ? Dans quelles conditions ? Les stratégies à mettre en œuvre doivent être définies au niveau régional mais adaptées à l’échelle territoriale.
Amir Adoudou Artine, Directeur Général de Haraz Group, Tchad.
Si la contribution de l’élevage mobile à l’équilibre social, économique et environnemental est indéniable, il ne permet pas de répondre à la demande croissante en produits laitiers d’une population de plus en plus urbanisée et dont le revenu moyen augmente. Répondre à cette demande, autrement que par le recours aux importations, nécessite des investissements d’envergure dans un élevage plus intensif. Le programme Baghara porté par le groupe Haraz au Tchad a pour ambition d’intégrer l’amont de la filière jusqu’à la commercialisation des produits finis.
Le Tchad est un pays d’élevage par excellence : le secteur de l’élevage représente 53% du PIB hors pétrole et fait vivre 40% de la population rurale. Schématiquement, on peut distinguer deux types d’élevage : nomadisme pastoral dans la partie saharienne au Nord et sahélienne au Centre, et un élevage en partie transhumant dans la partie soudanienne au Sud. La talle du cheptel est immense : 34 millions de bovins, 42 millions d’ovins, 44 millions de caprins et près de 10 millions de camelins.
Mais, pour le cheptel laitier tchadien, répondre à la demande d’une population de 15 millions d’habitants, implique de surmonter de nombreux obstacles. En premier lieu, la capacité de lactation des vaches est faible, de l’ordre de 2 à 6 litres de lait par jour. La production laitière est saisonnière, le lait manque en saison sèche. De plus, le mode d’élevage transhumant dominant (90% de l’élevage est conduit sur le mode transhumant) a atteint ses limites sous l’effet : du changement climatique à l’origine d’une augmentation de l’amplitude de la transhumance parfois sur plus de 1000 km; de la croissance démographique qui entraine un rétrécissement des couloirs de transhumance et des espaces de pâturage et exacerbe les conflits entre agriculteurs et éleveurs ; des avancées en matière de santé animale, grâce aux campagnes de vaccination, avec pour conséquence une augmentation du taux de croissance du cheptel (2,5% en 2015 contre 5% aujourd’hui) et un phénomène de surpâturage. Surtout, ce système d’élevage n’est pas tourné vers la production de lait en raison de l’éloignement des centres de consommation et des difficultés de conservation. Il existe pourtant un marché pour le lait et les produits laitiers au Tchad. Le différentiel de prix élevé entre les produits importés (lait, yaourts) et les produits à base de lait local tend à montrer qu’il existe des opportunités de gain pour les producteurs et transformateurs de lait local.
En 2002 la ferme Artine s’est engagée dans une stratégie de modernisation et d’intensification de la production laitière basée sur l’amélioration génétique du troupeau. La sélection génétique a permis d’accroitre significativement la production de lait, de 10-12 l/jour à 15-20 l/jour, mais l’alimentation du bétail est un facteur limitant. En effet, le mode de conduite du troupeau - semi transhumance pour la plus grande partie du troupeau, semi-stabulation pour le cheptel de race améliorée - reste tributaire de la disponibilité en ressources naturelles. La rareté des ressources pastorales en période de soudure, avant l’arrivée des pluies, a des conséquences potentiellement catastrophiques pour le troupeau.
Pour lever ces contraintes, le groupe Haraz mise sur un projet de développement agro-industriel visant à intégrer au sein du groupe la production fourragère, la production animale et la transformation de la viande et du lait. En amont, une ferme de grandes cultures et des coopératives de producteurs sous contrat produisent, en irrigué, les fourrages dont ont besoin les fermes laitière et bovine. Les produits de l’élevage sont ensuite transformés dans des unités industrielles répondant aux normes internationales d’hygiène et de qualité. Sur le plan économique, l’intégration verticale permet de contrôler l’amont de la chaine de valeur et notamment de garantir la disponibilité de l’aliment-bétail toute l’année, en quantité et en qualité. Sur le plan social en revanche, l’utilisation des terres pour la production d’aliments pour le bétail et la mécanisation de la production, n’est acceptable que si le projet de l’entreprise est inclusif. Autrement dit, l’entreprise devra s’engager dans un accompagnement étroit des petits producteurs : aide à la structuration, fourniture d’intrants, encadrement etc. L’accomplissement de ces missions est une source de coûts additionnels pour l’entreprise mais la condition de l’acceptation sociale. Le problème principal reste celui du financement, problème particulièrement aigu dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage au Tchad comme dans l’ensemble des pays de la région.
Issa Adoudou Artine, Directeur Général de Artine G.I.E Industrie Agroalimentaire, Tchad.
Évoluant dans le même environnement tchadien et donc confronté aux mêmes difficultés, l’entreprise Artine GIE a fait d’autres choix. La laiterie Artine, installée à proximité de N’Djamena, est une laiterie de type semi industriel. Elle produit pour le marché laitier de N’Djamena du lait pasteurisé, des crèmes, yaourts, fromages, jus d'oseilles, gingembre entre autres. Ses produits sont reconnus pour leur qualité et leur diversité et les débouchés sont nombreux (magasins, hôtels et restaurants de luxe…).
La laiterie Artine dispose d’une unité de plus 7 000 litres de capacité de transformation journalière. Elle se fournit exclusivement auprès des éleveurs locaux dont l’offre de lait ne peut satisfaire qu’un dixième de ses besoins. Les raisons de la faiblesse de l’offre de lait local sont nombreuses. Au niveau des élevages, les moyens de production des éleveurs sont limités : l’alimentation des vaches laitières est insuffisante en quantité et en qualité, les races laitières sont peu performantes, les pratiques de traite ancestrales ne sont pas compatibles avec les exigences de qualité sanitaire et les pertes sont importantes. De plus, les élevages sont difficilement accessibles du fait du manque d’infrastructures rurales (pistes et routes) et de l’inorganisation des éleveurs. A ces difficultés d’approvisionnement s’ajoutent, au niveau de la laiterie, des coûts de fonctionnement élevés liés au coût des consommations intermédiaires (ferments, emballages …), un accès limité à l’électricité et au financement ainsi que de multiples « tracasseries » administratives.
De façon originale, pour faire face à ses difficultés d’approvisionnement en lait, la laiterie Artine s’est engagée dans une démarche de responsabilité sociétale, en plaçant les femmes au cœur de son action. Dans les sociétés pastorales, le bétail appartient aux hommes mais ce sont les femmes et les jeunes qui produisent et vendent le lait. Au sein d’un ménage polygame, le produit de la vente du lait revient à tour de rôle à l’une des femmes du foyer. Cette pratique qui revient à socialiser les coûts d’entretien du bétail et à privatiser le bénéfice des ventes, est économiquement inefficace et entretient le cycle de la pauvreté. C’est pourquoi la Laiterie Artine s’est engagée dans le projet "Une vache, une mère de famille" : la laiterie met une vache à la disposition d’une mère de famille à travers un crédit-bail dont le remboursement est indexé sur les ventes de lait. De plus, la laiterie s’engage à accompagner les femmes bénéficiaires en leur fournissant un appui en matière d’organisation professionnelle et des conseils pour l’alimentation et le soin aux animaux. Ainsi, cet « arrangement institutionnel » qui permet aux femmes d’accéder aux moyens de production permet en même temps à la laiterie de sécuriser son approvisionnement en lait.
La mise en place de ce mécanisme de crédit-bail qui permet à des femmes d’avoir la jouissance d’un capital productif va bien au-delà des engagements habituels d’un transformateur avec ses fournisseurs dans le cadre d’un contrat de production standard. La mise en place de cette innovation institutionnelle est soutenue par la FAO.
Diori Maïmouna Malé, Directrice Générale de la Laitière du Sahel, Niger.
Au Niger comme au Tchad, le secteur de l’élevage occupe une place importante dans l’économie. Il contribue à la satisfaction des besoins alimentaires, participe à la création de valeur ajouté, à l’équilibre de la balance commerciale extérieure et constitue une source importante d’emplois et de revenus pour les ménages. Avec 50 millions de têtes de bovins (données 2010), le potentiel de développement de la filière lait au Niger est important, d’autant plus que les produits laitiers à base de lait local sont appréciés par les consommateurs. Mais la productivité des vaches est faible, de l’ordre de 330 kg par vache et par an, inférieure à la moyenne africaine de l’ordre de 519 kg/vache/an, elle-même sans comparaison avec la productivité des vaches laitières aux USA qui est supérieure à 10 000 kg/vache/an.
Les raisons de cette faible productivité sont connues et sont inhérentes au mode d’élevage extensif. La production de lait est marquée par une forte saisonnalité, les éleveurs sont dispersés et les coûts de collecte du lait très élevés. De plus, l’accès aux ressources pastorales est de plus en plus difficile du fait d’une compétition accrue sur les ressources naturelles et de la multiplication des conflits pour l’usage des terres, de la dégradation des ressources pastorales sous l’effet du changement climatique, mais aussi de l’insécurité grandissante dans certaines parties du territoire.
Du côté des élevages, les pratiques ont peu évolué. Les éleveurs souffrent d’un manque d’encadrement, ils n’ont pas accès au conseil agricole et zootechnique, le coût des intrants zootechniques est élevé voire prohibitif et l’accès au financement quasi impossible etc. Tous ces éléments concourent à la faible productivité du cheptel et expliquent le prix de revient élevé du lait local. Comparé au prix du lait reconstitué à partir de poudre importée qui est de 220 FCFA/litre, le lait cru local est plus de deux fois plus cher, de l’ordre de 500 à 546 FCFA/litre en 2023.
Parmi l’éventail de solutions possible pour sécuriser son approvisionnement en lait, la Laitière du Sahel (LDS) a privilégié la contractualisation avec un centre de collecte du lait (CCL), le CCL de Kollo. La Laiterie s’engage à payer au comptant les livraisons de lait ce qui constitue un élément incitatif important pour le CCL et bénéficie en contrepartie d’un approvisionnement en lait réfrigéré de qualité. L’arrangement contractuel qui fixe le mécanisme de paiement du produit et la qualité du produit est intéressant pour les deux parties, mais les volumes que le CCL est en capacité de fournir sont insuffisants.
Pour accroitre les volumes traités par le Centre de collecte, plusieurs actions ont été identifiées par la LDS. Au niveau des campements, la coordination des actions entre les services vétérinaires (SVPP), les auxiliaires et agents d’élevage et les éleveurs apparait essentielle pour une meilleure conduite des troupeaux. En matière d’alimentation du bétail, la promotion de pratiques améliorées dans le domaine de la production, récolte et conservation des fourrages d’une part, et la mise en place de stocks revolving d’aliment-bétail au niveau des points de collecte du lait et des campements d’autre part, permettraient d’accroitre la disponibilité et de faciliter l’accès à des aliments de qualité. En outre, parmi toutes les leçons tirées de l’expérience il ressort un besoin important d’actions de sensibilisation et de formation : auprès des éleveurs pour lever les barrières culturelles à la vente du lait cru et diffuser les bonnes pratiques en matière de traite et d’hygiène de la traite ; auprès des collecteurs pour réduire les pertes à la collecte et pendant le transport du lait cru ; auprès de l’ensemble des acteurs de l’interprofession pour les sensibiliser à l’approche chaine de valeur et les former à l’entrepreneuriat.
Au total, la contractualisation avec un centre de collecte est une solution potentiellement intéressante pour sécuriser l’approvisionnement de la laiterie en matière première, mais qui nécessite de renforcer les capacités des CCL dans tous les domaines (gestion, logistique etc.). Face à ces difficultés, la LDS appuie le CCL de Kollo dans la recherche de financements pour renforcer son fond de roulement et investir dans la logistique. La Laitière du Sahel projette également de s’engager, via le CCL, dans la fourniture aux éleveurs d’aliments pour bétail à crédit.
Bagoré Bathily, Directeur Général de la Laiterie du Berger, Sénégal.
Le Sénégal qui compte 3.5 millions de bovins pour 18 millions d’habitants n’est pas un grand pays d’élevage comme le Mali, le Niger ou le Tchad, néanmoins le secteur de l’élevage fait vivre un tiers de la population.
La laiterie du Berger qui a 18 ans d’existence fait figure de pionnière dans le développement de l’industrie du lait au Sénégal. La laiterie dont le modèle de développement était basé sur la collecte et la valorisation du lait local a rencontré les mêmes difficultés que les entreprises tchadiennes et nigérienne: manque de disponibilité de la ressource en lait, saisonnalité de la production, non compétitivité du lait local face aux importations de poudre de lait, problèmes de standardisation des produits et difficulté à faire reconnaitre la qualité du lait local par rapport aux substituts à base de matière grasse végétale.
Malgré ces difficultés la laiterie a constitué au fil du temps un large bassin de collecte qui lui fournit environ 20% de sa consommation annuelle de lait. La laiterie travaille avec des éleveurs sous contrat à qui elle fournit, notamment, des services vétérinaires et de l’aliment-bétail sur la base d’un crédit remboursable par précompte sur les ventes de lait. Au total, la Laiterie du Berger injecte près d’un milliard de Fcfa dans l’économie régionale.
Pour l’éleveur, dans les conditions actuelles de productivité du cheptel laitier, la rentabilité de la production de lait est faible, très dépendante des conditions climatiques et du prix de l’aliment-bétail. Le gain de l’éleveur est plus élevé en saison des pluies et durant les mois qui suivent, période pendant laquelle les animaux sont nourris à l’herbe. Pendant les six autres mois de l’année, l’éleveur doit compléter l’alimentation du bétail ce qui réduit très fortement sa marge. En année climatique normale, les gains réalisés sur les ventes de lait en saison humide permettent d’entretenir l’ensemble du troupeau sur toute l’année. Ce n’est plus vrai en année de sécheresse ou d’inflation et de prix élevé de l’aliment-bétail. Seule l’amélioration génétique des animaux, par croisement des races locales avec des races plus performantes, permettant d’atteindre une production de 10 -15 l/jour, peut permettre de valoriser des fourrages de bonne qualité.
Pour optimiser la production fourragère et accroitre la profitabilité de la production laitière, la Laiterie du Berger s’est engagée dans une démarche relevant de l’économie circulaire. Cette stratégie vise à créer une ceinture d’élevages autour des zones de culture et à développer les échanges entre éleveurs et agriculteurs. D’un côté, les aliments concentrés sont produits à partir du son de riz fourni par les coopératives de riziculteurs et la production de cultures fourragères est introduite dans une rotation intra-annuelle des cultures dans les zones inondées. De l’autre côté, le fumier animal est récupéré et transféré des zones d’élevage vers les zones de culture. L’externalisation de la production des aliments-bétail des éleveurs vers les agriculteurs locaux permet non seulement de valoriser les sous-produits de la riziculture mais aussi d’optimiser l’usage des terres en augmentant le nombre de récoltes dans l’année. C’est, de plus, une solution acceptable socialement car la production des aliments pour le bétail n’entre pas en concurrence avec les cultures destinées à l’alimentation humaine.
Guillaume Duteurtre, Géographe, Directeur de l’UMR Selmet, Cirad.
L’alimentation du bétail est un élément clé de la croissance de la production laitière au Sahel. Le problème de l’alimentation animale se pose en termes d’accès aux fourrages, d’accès à l’aliment concentré, de coût de production, de gestion de l’environnement, d’équité sociale, de partenariats entre éleveurs et agro-industries etc. Mais il est essentiel d’examiner les facteurs de la croissance de la production laitière à l’échelle du territoire dans lequel les acteurs de la production évoluent.
Penser les formes d’élevage les plus appropriées, les plus productives, les plus efficientes, les plus durables, penser la transition agroécologique, c’est d’abord s’interroger sur le cadre territorial dans lequel les élevages s’insèrent. Pour les éleveurs qui sont dans la zone d’appellation du Saint-Nectaire, la forme la plus durable n’est pas la même que pour un élevage chamelier des environs de N’Djamena, pour une communauté pastorale vivant sur les rives du lac Tchad, ou pour un ferme laitière périurbaine des environs de Bobo-Dioulasso. Le territoire détermine les parcours à valoriser, les potentialités agricoles (ce qu’il est possible de semer en prairies ou en fourrages), les sous-produits à valoriser comme les pailles, le fumier, les tourteaux (co-produits), les contraintes saisonnières, et les complémentarités entre calendriers agricoles et pastoraux. Le territoire détermine aussi les acteurs en présence, les rapports de force, les conflits potentiels à résoudre, les alliances à promouvoir.
La référence au territoire, est aujourd’hui un des éléments majeurs qui marque les orientations de la recherche agronomique en France. Pour les géographes un territoire se définit par 3 éléments : (i) un espace délimité, (ii) une communauté humaine qui s’identifie à cet espace, et qui en tire des moyens de subsistance, et (iii) des règles communes de gestion de cet espace. Un territoire peut-être un canton, un département, un parc national, un PNR, une agglomération urbaine, etc. Les entreprises laitières présentées ci-dessus s’inscrivent chacune dans un territoire particulier : une zone de 1000 ha où sévit l’insécurité alimentaire pour le Groupe Haraz ; une région où seront formées plus de 250 femmes pour la Laiterie Artine ; le bassin de collecte du Centre de Kollo pour la Laitière du Sahel ; un vaste bassin de collecte dans la région de Richard-Toll pour la Laiterie du Berger.
Par ailleurs, la transformation des élevages n’est pas envisageable en dehors d’un partenariat entre éleveurs et agro-industries. Ces partenariats donnent lieu d’abord à des contrats de collecte, qui sont souvent des contrats liés lait contre aliment. Mais plus généralement, ces partenariats prennent la forme de plateformes de concertation, de table-filière, d’interprofessions, etc. Ces formes de partenariat permettent de résoudre de nombreux blocages. Il n’est pas toujours facile de s’entendre entre éleveurs et industries sur le prix du lait, sur sa qualité, sur le calendrier des livraisons, sur les procédures de paiement, etc. Mais au-delà, ces partenariats permettent de construire des projets communs, de donner naissance à une convergence de vision, de lier entre eux les destins des éleveurs et des agro-industries.
La question de l’alimentation du bétail au Sahel se pose aujourd’hui avec plus d’acuité dans un environnement où la pression sur les ressources naturelles est de plus en plus forte et la demande des consommateurs en forte croissance. Pour les pays sahéliens, réduire la dépendance aux importations de poudre de lait implique de faire évoluer les pratiques d’élevage pour intensifier la production de lait. Cela implique à la fois de de compléter l’alimentation du bétail par des aliments concentrés et des fourrages de qualité et d’améliorer la génétique du cheptel laitier. Face à ces impératifs les stratégies mises en œuvre par 4 entrepreneurs tchadiens, nigérien et sénégalais illustrent la diversité des solutions possibles : optimisation de la performance de l’outil industriel par l’intégration verticale des activités depuis la production fourragère jusqu’à la commercialisation des produits finis (Groupe Haraz) ; apport à crédit d’animaux de race améliorée à des éleveuses dans une démarche d’inclusion des plus démunies dans la chaine valeur (Laiterie Artine) ; externalisation de la collecte de lait et soutien à l’agrégateur (La Laitière du Sahel) ; investissement dans le développement d’une économie circulaire (La Laiterie du Berger). Chaque solution vise à répondre à des objectifs et des contraintes spécifiques au territoire dans lequel s’inscrit le transformateur.