L’aide attaquée. Raisons, réponses, avenir

9 octobre 2025, Paris

Séminaire du Pôle clermontois de développement international (PCDI) organisé par la Ferdi en collaboration avec le Global Development Network (GDN).

Format fermé 

Note de concept

Les attaques de l’aide au développement sont aussi anciennes que l’aide elle-même. Elles ont été formulées dès les années 50 et 60, en provenance des deux extrêmes de l’échiquier politique, où sont dénoncés tantôt un gaspillage au profit de régimes dictatoriaux et corrompus, tantôt un appui à une étatisation jugée inefficace, bref un manque d’efficacité dans les pays aidés, mais aussi la faiblesse des avantages économiques ou politiques qu’en retire le pays aidant, bref une insuffisance   de « retour » pour celui-ci. Ce qui est nouveau, en France notamment, mais aussi en d’autres pays européens, c’est l’ampleur de ces critiques et leur utilisation pour justifier des restrictions de crédits supérieures à celles que la rigueur budgétaire fait porter ailleurs. C’est aussi le cadre géopolitique mondial dans lequel ces restrictions se produisent, où l’on voit les deux principales puissances mondiales, les États-Unis et la Chine l’une se retirer système de financement du développement tel qu’il avait fonctionné jusqu’à ces dernières années, l’autre refuser d’y rentrer, laissant aux pays européens le choix de s’aligner ou de maintenir leur effort d’aide en lui donnant une spécificité nouvelle. Cadre géopolitique où de plus dans certains pays en développement l’aide est dénoncée comme une source de dépendance et d’ingérence occidentale. La déclaration finale de la Conférence de Séville sur le financement du développement durable ne semble pas prendre pleinement la mesure des changements en cours. 

Le séminaire avait pour objet  de réunir des acteurs importants, publics et privés, de la coopération avec les pays en développement pour échanger sur les raisons des attaques contre l’aide dans les principaux pays occidentaux qui la fournissent, les réponses intellectuelles qui y ont été apportées et les perspectives politiques qui en résultent. Pour assurer une parfaite liberté d’expression des personnalités participant au séminaire, celui-ci était organisé de façon fermée et selon la règle de Chatham House.

La réunion a été ouverte et animée par Sir Masood Ahmed, ancien Président du Center for Global Development et non resident Senior Fellow de la Ferdi et Jean-Michel Severino, ancien Directeur général de l’AFD, Vice- Président du Conseil d’administration de la Ferdi et responsable de la Chaire investissement d’impact de celle-ci. La modération en était assurée par Patrick Guillaumont, Président de la Ferdi.

Les attaques de l’aide susceptibles d’être considérées lors du séminaire sont schématiquement de trois ordres.

Le périmètre et le mode de calcul de l’APD utilisé par le CAD de l’OCDE sont-ils vraiment logiques ? La concessionnalité n’est-elle pas appréciée de façon arbitraire, qui n’est le coût du capital ni pour le prêteur, ni pour l’emprunteur ? Y a-t-il un accord sur le recours au TOSSD, Pilier I ? Etc. Ces critiques sont importantes et appellent des réponses rigoureuses. Mais ce ne sont pas vraiment elles qui expliquent la chute des crédits d’aide. Aussi est-il proposé de ne pas en faire un objet principal du séminaire, au cours duquel, pour utiliser un vocabulaire internationalement encore en cours et pour faire bref, le mot « aide » sera entendu comme l’ensemble des flux publics concessionnels (au sens du CAD) à destination des pays à revenu faible ou intermédiaire qui sont supposés servir à leur développement ou à la promotion de biens publics globaux.  En revanche, sans entrer dans les subtilités techniques de leur mesure, il sera utile de distinguer entre ces flux selon leur objectif principal : croissance et réduction de la pauvreté, adaptation au changement climatique d’une part ; promotion des biens publics globaux comme l’atténuation du changement climatique ou la protection de la biodiversité d’autre part. Les critiques, leurs raisons et les réponses à apporter peuvent alors différer. Une attaque de l’aide à considérer est celle qui considère que la priorité doit être donnée à la préservation des biens publics mondiaux, notamment au climat. Pour la clarté politique du débat, cela implique une meilleure identification des flux selon leur objectif principal.   Lors de ce séminaire l’accent sera mis sur l’aide ayant pour objectif principal le développement des pays (et pour destinataires prioritaires les pays considérés comme tels par la France, à savoir les PMA et les autres pays les plus vulnérables). 

Cette critique a-t-elle régressé sous l’effet des multiples études effectuées sur le sujet et de l’évolution de l’aide elle-même ? Il convient d’en questionner le bien fondé à la lumière à la fois des travaux scientifiques et des expériences accumulées. Avec en toile de fond une réflexion sur le contrefactuel : que se serait-il passé sans l’aide ? L’impact de la suppression de l’USAID peut servir de contre-exemple.

Il est traditionnel de distinguer deux types de travaux sur l’efficacité de l’aide et de suggérer l’existence d’un paradoxe micro-macro, où les études micro feraient plus clairement apparaître l’efficacité de l’aide. Ce paradoxe lui-même est débattu. Même si de multiples travaux ont montré l’efficacité de projets d’aide particuliers, notamment dans le domaine de la santé, ou en d’autres secteurs, est-il possible d’extrapoler à l’échelle globale les conclusions d’études microéconomiques conduites chacune dans un environnement particulier ? 

Quant aux études macroéconomiques il a été à la mode un moment de les utiliser pour mettre en doute l’efficacité de l’aide, ce qui a soulevé divers débats techniques. Certes au total les études récentes les plus sérieuses, y compris à travers des synthèses de la littérature, semblent conclure à une efficacité de l’aide sur la croissance économique des pays. De plus, l’efficacité macroéconomique de l’aide peut être considérée non seulement pour la croissance mais aussi pour d’autres variables sociales, comme la réduction de la mortalité dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Mais n’a-t-on pas besoin de nouvelles synthèses couvrant les périodes les plus récentes et intégrant les apports des nouvelles techniques d’observation ? On sait que l’efficacité est conditionnelle ou relative à certaines caractéristiques structurelles des pays receveurs. Elle dépend en particulier de la vulnérabilité des pays, mais aussi d’autres facteurs de fragilité, car l’aide intervient comme un amortisseur des chocs économiques, climatiques ou politiques : la vulnérabilité qui dans ses diverses formes a un effet négatif sur la croissance voit cet effet atténué par l’aide. Cette dépendance de l’efficacité de l’aide à l’égard de la vulnérabilité semble établie de façon plus robuste que la dépendance à l’égard des politiques et des institutions, qui au demeurant ont un effet direct sur la croissance.

Finalement si l’efficacité de l’aide dépend de certaines caractéristiques des pays, comme la vulnérabilité, ceci n’implique-t-il pas d’adapter en conséquence son allocation ? Réformer l’aide pour la rendre plus efficace plutôt que la réduire. Dans la discussion sur l’efficacité de l’aide il convient évidemment d’éviter la confusion entre la critique de ses modalités et celle de son principe et de son volume. 

Là aussi la critique est ancienne : le slogan « la Corrèze avant le Zambèze » date des années cinquante. Mais elle a pris récemment un tour nouveau, à la fois porté par une contagion venue d’outre-Atlantique et par le reproche venu du Sud qu’elle serait un facteur d’ingérence post-coloniale. La confusion entre le principe de l’aide et ses modalités doit là encore être évitée. 

La littérature économique cherche souvent à distinguer et à artificiellement opposer les intérêts des pays receveurs et ceux des pays donateurs. Or le problème est aujourd’hui pour les opinons publiques et les décideurs qui les suivent de connaître les raisons qui font qu’une aide visant le développement des pays peut aussi servir les intérêts des pays qui la fournissent. Comment alors identifier cet intérêt ? La mise en évidence de ce que l’on tend à appeler un « rendement » pour les donateurs, qui soit en même temps conforme aux objectifs de l’aide au développement et à la promotion des biens publics globaux est devenue aujourd’hui nécessaire. Quels aspects peut prendre ce « rendement » ? Comment distinguer les différents canaux ?

Un aspect important est commercial, souvent mesuré par l’évolution des exportations des pays fournisseurs de l’aide vers les pays destinataires de celle-ci : le déliement progressif obtenu laborieusement au temps du multilatéralisme revendiqué semble avoir fait place à des pratiques opposées, discrètes, génératrices de nouvelles formes de liaison à travers le financement de projets. Que sait-on du lien de facto entre aide et exportations à partir des diverses études réalisées ? les modèles d’équilibre général utilisés à cette fin permettent-ils de capter dans la durée les différents canaux par lesquels s’exerce l’effet de l’aide, notamment son impact sur l’investissement direct étranger ? Quel est en particulier l’effet de ce que l’on appelle « Aid for trade » qui a pour objet de faciliter le commerce, donc non seulement les exportations des pays receveurs, mais potentiellement aussi leurs importations…. Tout ceci devrait pouvoir être aujourd’hui mieux documenté notamment selon la dimension du pays aidant, sa compétitivité, comme ses liens culturels et linguistiques, mais aussi politiques avec le pays aidé. 

Sur un plan politique, le « rendement » est parfois mesuré par l’évolution des relations politico-diplomatiques, par exemple par l’alignement des votes aux Nations-Unies : là où il semblait y avoir naguère quelque relation, celle-ci paraît aujourd’hui partiellement s’effacer. L’intérêt de l’aide doit-il être recherché dans l’alignement des votes aux Nations-Unies ? N’y a-t-il pas d’autres indicateurs, plus multilatéraux peut-être, du rendement politique ? L’image et l’influence internationales des pays nordiques au temps où ils étaient les champions de l’aide peut fournir un cas à méditer.

Finalement le rendement à la fois économique et politique pour le donateur n’est-il pas à chercher dans la réponse donnée à la question de l’efficacité de l’aide ? Dans un monde en voie de fragmentation, pour un pays comme la France, le développement des principaux pays partenaires n’est-il pas- un facteur majeur de rendement à long terme ?d  

Reste la thèse ancienne selon laquelle jusqu’à un certain seuil une augmentation modérée du revenu favorise les migrations clandestines en permettant aux candidats d’en couvrir le coût. Les nouvelles conditions géopolitiques mondiales et africaines en particulier ne réduisent-elles pas la portée de cette thèse en diminuant l’impact relatif du coût des migrations, par rapport à d’autres déterminants des migrations de grande ampleur ? L’amélioration des perspectives d’emploi et de revenus à l’échelle régionale peut-elle freiner les migrations internationales considérées comme excessives, et l’aide contribuer à cette amélioration en soutenant la croissance et l’emploi ? 

Les attaques de l’aide peuvent être mal fondées ou opportunistes, mais il est important d’en comprendre les raisons pour pouvoir y répondre. Et améliorer, profondément lorsqu’il le faut, les modalités de l’aide. Bien que les arguments pour le faire ne paraissent pas manquer, ils doivent être adaptés au contexte international et leur support scientifique doit être lui-même modernisé et actualisé. Une attention particulière doit être portée au cadre géopolitique dans lequel ils sont avancés : la réponse aux attaques contre l’aide ne doit-elle pas alors être recherchée à une échelle pluri nationale, européenne si possible, afin de rendre plus crédible et visible un affichage de solidarité internationale avec les pays pauvres et vulnérables. Comment cet affichage qui correspond aux valeurs françaises et européennes peut-il être rendu crédible auprès de nos partenaires?