Assurance climatique indicielle et assurance classique : vers une approche hybride

21 juin 2011 > 22 juin 2011, Clermont-Ferrand

Atelier organisé par la Ferdi.

Les risques climatiques sont une cause majeure du sous-investissement dans l’agriculture ainsi que de pertes des investissements passés. Ils peuvent générer une forte diminution du bien-être lorsque des chocs non assurés surviennent. De plus, le changement climatique rend la protection contre les chocs climatiques de plus en plus nécessaire.

Les contrats d’assurance traditionnels ont connu un succès très limité du fait de leur difficile mise en œuvre et notamment des coûts élevés qui leur sont associés, particulièrement pour les petits producteurs. L’assurance climatique indicielle apparaît comme une nouvelle option en présentant une mise en œuvre plus facile et des coûts réduits, tout en souffrant de risque résiduel. Jusqu’à présent, cette option a cependant été peu adoptée sans la présence d’importantes subventions. De nouvelles approches sont donc explorées pour augmenter l’adoption de ce type d’assurance parmi les petits exploitants en réduisant le risque de base, en connectant l’assurance indicielle à l’achat d’intrants ou en offrant des contrats combinant crédit et assurance.

Une autre approche qui commence à être envisagée est la formulation de contrats à deux niveaux qui combineraient assurance indicielle au niveau des groupes de producteurs, comme par exemple les coopératives, et assurance traditionnelle au sein du groupe. Cela peut s’avérer prometteur en cumulant les avantages des deux approches tout en en évitant les inconvénients propres: réduire le risque résiduel au niveau du groupe dans son ensemble et s’appuyer sur les dommages directement observables et le comportement moral sur la base de jeux répétés entre les membres du groupe. Les contrats correspondants et les incitations pour les parties prenantes restent cependant toujours à définir. Des expériences spécifiques évaluant les schémas de mise en œuvre de tels modes d’assurance ont besoin d’être construites et analysées. Le rôle de l’aide extérieure pour soutenir le lancement de ces schémas a également besoin d’être exploré.

Ceci constituait l’objectif de l’atelier de travail Ferdi qui s'est tenu à Clermont Ferrand les 21 et 22 juin 2011.

Trois questions à Alain de Janvry

Quel est l’objectif de cette réunion de travail organisée par la Ferdi?

« En économie du développement, il existe selon moi deux grandes défaillances de marché : la première concerne l’accès au crédit, la seconde l’accès à l’assurance.

Dans le domaine du crédit, on le sait, d’énormes progrès ont été faits ces dernières années. La microfinance est une véritable révolution, qui a donné lieu à d’importantes innovations institutionnelles. Elle a permis à des millions d’individus pauvres (principalement à des micro-entrepreneurs et à des commerçants) ne disposant pas de garanties financières ou matérielles d’accéder à un crédit leur permettant de développer une activité économique pérenne. 

Dans le domaine de l’assurance, et notamment de l’assurance agricole, il reste encore beaucoup à faire. Dans les pays en développement, lorsque qu’un choc climatique non assuré se produit, les répercussions économiques sont très importantes pour les populations touchées. Les mécanismes d’assurance classique ont essuyé des échecs cuisants dans les pays en développement, le principal problème venant du fait que la vérification systématique des pertes effectives présente un coût trop élevé, tant pour les compagnies d’assurance que pour les petits producteurs. 

Dans le domaine de la microfinance, le travail des chercheurs et des professionnels de terrain a permis la mise en place d’institutions financières viables malgré l’absence de garanties. Dans le domaine de l’assurance, il est aujourd’hui indispensable de trouver des systèmes rentables sans qu’une vérification systématique des pertes soit effectuée.

Par ailleurs, il existe aussi un important problème lié à la demande d’assurance. Les producteurs des pays en développement ne disposent que de peu de connaissances dans ce domaine, qui est particulièrement complexe,  et ne font pas confiance aux assureurs. 

Cet atelier de réflexion organisé par la Ferdi cherche à répondre à deux questions principales. Premièrement, comment améliorer l’offre, c'est-à-dire quels produits proposer pour que producteurs et compagnies d’assurances y trouvent leur compte ? Et deuxièmement, comment faire pour qu’il y ait une utilisation plus fréquente des assurances, pour qu’une confiance réciproque entre assureurs et assurées soit établie ? »

Pourquoi la mise en place d’assurances basées sur les risques climatiques est-elle complexe dans les pays en développement?

«Cette mise en place est difficile  pour plusieurs raisons. Du côté de l’offre de contrats d’assurance, nous rencontrons trois difficultés principales. Premièrement, les données climatiques dont nous disposons dans ces pays n’ont que peu de profondeur temporelle, sans compter qu’elles sont géographiquement moins denses (il existe peu de stations météorologiques et les stations existantes ne sont pas récentes). Ceci rend difficile l’établissement des lois statistiques des événements climatiques.

Deuxièmement, les données historiques sur les rendements effectifs sont particulièrement manquantes. Et troisièmement, les compagnies d’assurance locales n’ont que peu d’expérience dans le domaine agricole.

Du côté de la demande, là encore trois points principaux posent problème. Premièrement, il se trouve que les producteurs agricoles ont beaucoup de mal à comprendre la logique même de l’assurance, qui consiste à payer à l’avance pour un produit dont la consommation ne se fera que dans le futur. Deuxièmement, ils sont confrontés à des contraintes de liquidités, qui les empêchent souvent  de payer une prime d’assurance avant le début de la campagne de production. Enfin, et c’est un point que j’ai déjà évoqué précédemment, il y a un manque évident de confiance entre agriculteurs et compagnies d’assurance.

Cela fait donc beaucoup de difficultés. Mais les pays en développement disposent également d’avantages importants. L’existence de structures traditionnelles d’entraide, pouvant servir de base aux contrats d’assurance de groupe, en est un important. Par ailleurs, il existe dans ces pays une possibilité de lier l’assurance au crédit, afin de favoriser l’accès au crédit et donc de rendre possible l’adoption d’innovations technologiques disponibles, mais trop souvent  sous-utilisées.»

La recherche dans le domaine de l’assurance agricole a progressé ces dernières années. Quelles ont été selon vous les principales avancées? 

« Nous avons en effet beaucoup progressé. De nombreuses expériences de terrain ont été réalisées (au Mali, en Inde, en Ethiopie, ou en Chine) et ont permis de comprendre comment améliorer les produits proposés. Nous identifions aujourd’hui deux grands types d’assurances indicielles. Les assurances climatiques, qui consistent à indemniser les producteurs lorsque les variables climatiques sont supérieures ou inférieures à un seuil fixé au préalable. Par exemple, lorsque la pluie est inférieure au seuil permettant d’obtenir des rendements suffisants, les producteurs reçoivent automatiquement une compensation financière. Et les assurances indicielles qui reposent sur des moyennes régionales de rendements, calculées par période. Ce système d’assurance permet d’éviter une vérification des rendements individuels. Si les rendements moyens observés sont inférieurs à par exemple 20% de ce qui est habituellement produit dans la région, tous les producteurs de la zone sont alors indemnisés. 

Par ailleurs, nous portons également une attention particulière à la notion de groupe. Dans la microfinance, préférer l’adoption d’un crédit de groupe (plutôt que d’un crédit individuel) s’est avéré particulièrement efficace pour contrer les difficultés liées à l’aléa moral et aux asymétries d’information. Dans le domaine de l’assurance, nous estimons que la mise en place d’assurance de groupe doit être un thème central de nos recherches. L’idée étant que, en cas de chocs, le groupe reçoive une indemnité globale, et qu’il la distribue à ses membres proportionnellement aux pertes encourues par chacun d’entre eux. Ainsi, pour revenir à la première question que vous me posiez, en dehors de nos deux objectifs principaux, ce séminaire de travail fait l’objet d’objectifs plus spécifiques : essayer de comprendre où l’on en est dans la spécification des contrats de groupe, savoir quelles règles internes aux groupes devraient être élaborées».

Interview réalisée le 22 juin 2011 par Claire Gillot, Chargée de Communication, Ferdi.