Note de lecture de l'ouvrage "Histoire du Pakistan de 1947 à nos jours. Un lent cheminement vers l’abîme?"

Note de lecture rédigée par Dr Marie-Aimée Tourres, Chercheur associée à la Ferdi, directeur académique Asie du Sud-Est, University of Strathclyde Business School.

Cet ouvrage offre une vision pessimiste, éclairée et argumentée de solides connaissances de terrain. Les maux dont souffre le Pakistan ne sont que l’apogée d’une lente ascension et accumulation de problèmes, dont le tournant a eu lieu en 1965, lors du deuxième affrontement avec l’Inde au niveau du Cachemire. C’est à partir de cette année charnière qu’a été créée l’idéologie du Pakistan. En plus d’un puissant nationalisme, ses deux piliers fondateurs sont la haine de l’Inde (p. 69) et un islamisme intégriste. S’y ajoute, au début des années 2000, la haine des États-Unis et, de façon plus générale mais dans une moindre mesure, de l’Occident. Les proportions grandissantes de ces aspects identitaires idéologiques les rendent à la fois inquiétants – la radicalisation de la société par exemple – et de plus en plus ingérables. Elles peuvent souvent s’expliquer par une absence de volonté politique de s’attaquer aux problèmes de fond : la « lâcheté des autorités politiques » (p.194).


Pour comprendre cette radicalisation, Olivier Louis adopte une approche chronologique et analyse le rôle des différents Premiers ministres pakistanais depuis 1947 jusqu’aux dernières élections de mai 2013, qui ont reconduit Nawaz Sharif au pouvoir. À ce jour, le Pakistan est encore très loin d’être stable. Ses ambiguïtés remontent à sa création même, qui s’est réalisée autour de l’unique concept d’État islamique, et non de nation. L’introduction présentant le rôle de Muhammad Ali Jinnah, père fondateur du pays, est à ce titre éclairante. Le sixième chapitre, consacré à la période Musharraf (1999-2008), est également particulièrement instructif dans le portrait qu’il dresse de ce général qui s’est déchu lui-même. Premier ministre clé dans « la lutte contre la terreur » menée par les États-Unis, il est aussi un acteur au bilan plus que controversé, qui refait depuis peu l’actualité avec son retour d’exil londonien, malgré des menaces de mort et un procès en cours.

La problématique de l’enlisement croissant du pays est très bien posée. La montée des tensions religieuses, les différentes facettes des relations avec l’Afghanistan, les États-Unis, mais surtout l’Inde, à tous les niveaux et au-delà du simple problème du Cachemire, sont également clairement explicitées. Pour O. Louis, sans une résorption du niveau de haine et de paranoïa atteint par Islamabad au sujet de New Delhi, le pays a peu de chance de sortir de sa dynamique destructrice. Des éléments économiques sont aussi mis en avant, tels que le faible taux d’imposition – seuls 700 000 Pakistanais sur près de 180 millions payent des impôts – et l’enjeu crucial de la poussée démographique au regard de ressources en eau limitées.

Les sources sont toujours indiquées et décortiquées, et l’on apprécie les mises en garde de l’auteur sur l’ambiguïté de certaines d’entre elles. O. Louis aimerait croire au développement du Pakistan mais force lui est de constater que le sursaut politique indispensable n’est pas à l’ordre du jour. Loin de vouloir l’accabler, l’auteur est passionné par la complexité de ce pays. Le style est à la fois académique et concret, et pour cause, O. Louis a travaillé de nombreuses années dans les ambassades de France comme chef de mission, dont quatre ans au Pakistan et trois en Inde. Il a rejoint l’Institut français des relations internationales (IFRI) en 2006, où il a créé une section Asie du Sud.

Sur un tel pays, trop peu traité en France en matière de réflexion géopolitique, on aurait aimé une bibliographie moins succincte. Elle donne néanmoins les ouvrages-clés anglophones complémentaires, dont notamment Anatol Lieven (2008), Ahmed Rashid (2008) et Pervez Musharraf (2006). Dans la même perspective que le livre d’O. Louis, les ouvrages de Maleeha Lodhi (2011) et Stephen Cohen (2013) sont aussi à recommander.