L’administration de cet impôt n’est pas simple. Dans sa version moderne, l’OM a été conçu comme un simple droit de douane, outil commercial dont le seul objectif est la protection de l’économie locale, puis a été transformé en taxe indirecte interne, visant en même temps la mobilisation de ressources. La complexité de ce système découle aujourd’hui de trois facteurs principaux : la prolifération des exonérations à la discrétion des institutions locales, la multitude des taux et les écarts, parfois très importants, entre ces taux. La complexité du mécanisme le rend inefficace puisque ses effets sont difficiles à évaluer et à maîtriser. La charge de travail pour les administrations conduit à un gaspillage de temps et d’énergie évident. Les entreprises sont en outre peu incitées à rechercher des solutions optimales en termes d’efficacité puisqu’elles bénéficient de situations de rentes. Le processus de modification des taux est par ailleurs peu transparent, instable et par là même, imprévisible. Les taux peuvent être modifiés plusieurs fois par an, comme en 2017 où ils ont été revus à trois reprises à Mayotte.
La rationalité même du système est aujourd’hui discutable. Cet impôt a pour effet de relever le niveau général des prix à la consommation. Avec la suppression de l’octroi de mer, la baisse des prix dans les 4 DOM serait significative, entre 4,6% et 9%. L’effet serait encore plus important pour les populations les plus pauvres qui consacrent une part plus élevée de leurs revenus aux dépenses alimentaires.
Le choix (fondamentalement) politique de protéger la production locale se révèle dans le cas présent une mauvaise incitation à la productivité et à l’innovation. Ces entreprises implantées dans les DOM, protégées par l’OM, sont inefficaces et demeurent incapables de faire face à la concurrence européenne et internationale. Les populations locales sont pénalisées par les surcoûts engendrés par ces situations de rente. L’ampleur des distorsions engendrées par ce mécanisme de protection crée des inégalités entre les activités, voire entre les entreprises d’un même secteur. De plus, le coût des biens intermédiaires nécessaires à la production de biens et services locaux est un poids pour certaines branches qui dépendent d’approvisionnements extérieurs : le secteur du tourisme par exemple. Dans certains DOM, il est ainsi permis de douter de l’effet protecteur de l’octroi de mer sur l’économie locale, tant le système de protection/exonération est alambiqué et non maîtrisé par les administrations locales.
Pour toutes ces raisons, et surtout parce que cet impôt sort des principes de l’Acte Unique de 1986, le Conseil européen plaide en faveur de la suppression de l’OM. Or, le contexte actuel de crise sanitaire se prête particulièrement à l’initiation d’une telle réforme. Il convient donc d’identifier d’autres outils de mobilisation de ressources et de mettre en place un système d’incitations plus neutre — ce que le rapport de la Ferdi s’est appliqué à faire. Certains éléments de fiscalité indirecte interne, complétés au besoin par des subventions ciblées, sont des pistes à explorer pour compenser la perte de recettes induite par la suppression de l’OM. La TVA, entre autres, apparaît comme un outil économiquement neutre pour mobiliser plus de ressources : les taux actuellement appliqués dans les DOM sont (beaucoup) plus bas qu’en métropole, voire nuls à Mayotte et en Guyane. Il existe là une marge d’action importante pour les décideurs publics. De plus, certains droits d’accises, notamment sur les tabacs pourraient être revus dans le même esprit.
Il reste à doser ces différents éléments de manière à proposer une réforme économiquement cohérente et socialement acceptable. La suppression de l’octroi de mer devra être progressive, à échelle de 5, 7 ou 10 ans, mais le calendrier devra impérativement être précisé avant le lancement de la réforme pour assurer visibilité et adaptation des opérateurs économiques et des administrations locales. Suivant le même rythme, les droits sur le tabac seront alignés sur ceux de la métropole. Les taux normaux de la TVA seront également augmentés, restant spécifiques à chaque DOM, hormis pour la Guadeloupe et la Martinique où ils devront être identiques afin d’accompagner la réalisation du Marché unique antillais (permettant d’éviter détournement de commerce, voire concurrence fiscale entre ces deux territoires). Enfin, considérant la situation particulière des DOM, le taux réduit de la TVA resterait à 2,1% en Martinique, Guadeloupe et à la Réunion, à 0% en Guyane et à Mayotte.
Suivant un tel scénario, les conséquences positives d’une réforme de l’octroi de mer sont loin d’être négligeables. La baisse des prix à la consommation attendue entraînera une augmentation de la demande globale, hausse qui compensera l’effet de la baisse de l’offre des secteurs dé-protégés. L’augmentation de l’activité induite pourrait se traduire par une augmentation du PIB par tête de 1% à 2%, et réduire ainsi l’écart avec la métropole de 1,5% à 4%, selon les DOM. L’effet net sur l’emploi serait significatif, avec une réduction du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 4% en Guyane et en Guadeloupe, de 2% à la Réunion. En outre, la baisse des prix serait plus forte pour les populations les plus pauvres. Enfin, les pertes de revenu pour les collectivités territoriales pourraient être entièrement compensées par une augmentation progressive des taux de TVA, considérant les spécificités de chaque territoire, et une hausse des droits d’accises sur le tabac.
Les inconvénients de cet impôt ont été soulevés à maintes reprises depuis plusieurs années. Des solutions sont aujourd’hui identifiées pour rationaliser le système fiscal des DOM. La crise sanitaire actuelle ne manquera pas d’impliquer la mise à plat des soutiens à ces territoires, indispensables compte-tenu de leurs spécificités. Elle offre ainsi aujourd’hui une fenêtre d’opportunité pour supprimer ce vieil impôt colbertiste, qui n’a désormais plus lieu d’être du temps de l’intégration européenne.