Le rôle respectif et l’interaction des deux chocs auxquels l’Afrique fait face
Le premier choc est évidemment épidémiologique, celui qui correspond à l’importation du virus avec une diffusion pour l’instant inégale entre les pays. La question est celle de savoir si la propagation de l’épidémie aura une forme similaire à celle qu’elle a connue en Europe, ce sur quoi les avis les plus divers sont émis : sera-t-elle dramatiquement plus forte en raison de la difficulté évidente à mettre en œuvre des politiques préventives et notamment à pratiquer un confinement général, de la faible qualité des infrastructures sanitaires, d’un accès limité aux traitements importés, du manque de confiance des populations à l’égard des consignes étatiques ? Ou sera-t-elle atténuée pour des raisons tenant à la résistance immunologique, à l’usage répandu d’anti paludéens, à la jeunesse de la structure par âge ou à une moindre résistance du virus à la chaleur ?
Le second choc, qui risque d’être plus sévère, est le choc économique. On sait dès à présent qu’il sera brutal et le sera plus particulièrement dans les pays exportateurs de pétrole ou de matières premières dont le prix a été négativement affecté par la récession mondiale, dans les pays bénéficiant de transferts importants de migrants dont les revenus sont eux-mêmes affectés par la récession dans les pays d’émigration, ainsi bien sûr que dans les pays très dépendants du tourisme. L’importance du secteur informel ne semble guère de nature à atténuer l’impact du choc économique. Ce choc aura lui-même, à travers ses conséquences sur la situation alimentaire et sanitaire, des effets considérables sur la santé des populations et sur la mortalité. Dans les pays d’Afrique à faible revenu les effets du choc économique sur la mortalité, en particulier chez les jeunes enfants, peuvent se trouver dépasser les effets directs de l’épidémie.
Les deux types de chocs se renforcent l’un l’autre : la récession va accroître les difficultés à combattre l’épidémie, cependant que celle-ci va contribuer à abaisser le niveau de l’activité économique, non seulement à court terme, mais aussi à long terme en raison des conséquences d’un mauvais état de santé dans les pays à faible revenu, qui sont de mieux en mieux connues. L’interaction des deux chocs crée enfin un terrain propice aux conflits internes dont le risque est élevé dans les pays d’Afrique où l’État est fragile et où l’expérience de certains pays a montré qu’ils étaient un facteur de propagation des maladies.
La responsabilité des chocs
Une question que les gouvernants africains ne manqueront pas de poser est celle de la responsabilité des chocs qui accablent leurs pays. L’Afrique fait face un double choc qui lui est clairement exogène, en d’autres termes dont elle n’est pas responsable, le choc épidémique et le choc dû à la récession mondiale. L’origine et la responsabilité du choc épidémique auront un impact profond dans l’opinion et se prêteront à des interprétations variées, voire à des fantasmes et à des manipulations politiques. Quant au choc économique, il a son origine dans la crise mondiale, prix que les pays occidentaux ont, à travers le confinement et de façon sans doute légitime au regard des informations et des moyens dont ils disposaient, accepté de payer pour contenir l’épidémie. Or les pays africains subissent cette crise de plein fouet, amplifiée sans doute par leur vulnérabilité à l’égard de la conjoncture mondiale.
Les pays africains sont-ils responsables de leur vulnérabilité ? Il est essentiel dans l’analyse de la vulnérabilité de distinguer, comme depuis des années la Ferdi s’efforce de le faire, la vulnérabilité structurelle, indépendante de la volonté présente des pays, résultant de l’ampleur du choc et de l’exposition au choc, et celle qui en dépend et qui est la partie volontaire de leur résilience, liée aux politiques présentement mises en œuvre. Il est juste que les pays africains soient aidés en raison et en fonction de leur vulnérabilité structurelle, dont leurs gouvernants actuels ne sont pas responsables, mais il est plus efficace qu’ils le soient aussi en fonction de leur effort propre pour y faire face. Ceci vaut pour le choc épidémiologique comme pour le choc économique.
S’il est juste que l’Occident et la Chine, disons les pays du G20, apportent un concours massif à l’Afrique pour lui permettre de surmonter le choc qui lui est transmis, il est essentiel que cela soit fait dans des conditions elles-mêmes justes en même temps qu’efficaces. L’assouplissement ou le renoncement aux conditions qui traditionnellement accompagnent les transferts est importante pour assurer leur rapidité, ainsi même que leur efficacité.
S’agissant de la réponse à la crise économique et financière, les modalités privilégiant l’accès direct aux ménages et aux petites et moyennes entreprises devraient être privilégiées. Les instruments existent, la recherche ayant montré depuis de nombreuses années l’efficacité des transferts inconditionnels pour lutter contre la pauvreté dans les situations d’urgence. Les pays africains pourront s’en souvenir, cependant que les pays occidentaux qui s’interrogent sur les vertus de la monnaie hélicoptère pourront s’en inspirer.
S’agissant de la réponse à la pandémie, les pays africains, en subissant plus tardivement le choc, pourront peut-être bénéficier de la recherche intensément menée aujourd’hui dans les pays occidentaux sur les stratégies les plus efficaces quant à l’usage des masques, des tests et des médicaments, sachant que le confinement risque de s’avérer en Afrique beaucoup plus difficile à mettre en œuvre qu’en Europe et finalement plus coûteux à tous égards, y compris en termes de mortalité. Si le virus devait se propager rapidement, le vrai problème politique serait alors, faute encore de vaccins, celui de l’administration des tests et médicaments, sur laquelle toute l’autorité de l’État devra être engagée, éventuellement pour sa propre survie. On imagine combien dans ces circonstances des conditionnalités externes intrusives risquent d’être dangereuses. En revanche un approvisionnement rapide en médicaments et tests, selon le choix des pays, pourra être une aide efficace.
La santé reconnue comme bien public mondial
Est souvent évoqué, pour justifier par la crainte le besoin d’un soutien occidental massif à l‘Afrique, le risque d’une pression migratoire extrême accompagnant l’appauvrissement de l’Afrique. Oublions cet argument ambigu et de portée incertaine. Il est un autre argument, celui-ci d’intérêt commun. La santé des populations africaines fait partie d’un bien public mondial, dont la détérioration peut affecter la santé des populations du monde entier. Or, répétons-le, la santé des populations des pays d’Afrique dépend fondamentalement de leur évolution économique. Le traitement occidental de la pandémie par le confinement et la récession a en quelque sorte transféré en Afrique son impact sanitaire majeur. Celui-ci concerne la santé mondiale.
Patrick Guillaumont, président de la Ferdi