Conférence internationale «Développement, climat, sécurité : enjeux liés d’une nouvelle politique de coopération»

IDGM

15 janvier 2018, Paris

Conférence organisée par le Cerdi, la Ferdi et l’Iddri dans le cadre de l’IDGM et du Labex IDGM+.

À côté des investissements pour le développement, la lutte contre l’insécurité reste une composante importante de l’Agenda international. La dialectique entre gestion de crise et de conflit et processus de développement constitue un défi ancien pour la coopération avec les pays en développement. Le changement climatique et l’insécurité croissante dans certaines parties du monde risquent de renforcer les difficultés de l’action. Quels sont les liens entre la résolution des conflits, la lutte contre le changement climatique et le développement ? Comment dans ce contexte définir une nouvelle politique de coopération pour la France et pour l’Europe?

Pour contribuer à la question, la Ferdi et l’Iddri, réunis dans l’Initiative pour le Développement et la Gouvernance Mondiale (IDGM), soutenue par l’Agence française de développement depuis 2007, ainsi que le Cerdi, associé dans l’IDGM+ qui a reçu le label de « Laboratoire d’Excellence » en 2011, ont organisé la conférence : Développement, climat, sécurité : enjeux liés d’une nouvelle politique de coopération 

Cette conférence a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme «Investissements d’avenir» portant la référence ANR-10-LABX-01.

Intervenants

Avec les communications exclusives de :

  • Frédéric Docquier, professeur à l’Université catholique de Louvain, chercheur senior à la Ferdi
    Pauvreté, climat, insécurité : impacts sur les migrations - Quels enjeux pour les politiques de développement?
  • Dominic Rohner, professeur à la faculté des hautes études commerciales de l’université de Lausanne, chercheur au Center for Economic Policy Research
    Les risques sécuritaires et environnementaux remettent-ils en cause l’analyse et la conception des projets de développement?
  • Barbara Buchner, directrice senior de la Climate Policy Initiative
    Financement du développement, de la sécurité et du climat: quelles parts respectives, quelles synergies, concurrence ou complémentarité?
  • Gaël Giraud, chef économiste et directeur exécutif de la Direction innovation, recherche et savoirs de l’Agence française de développement
    La gouvernance au cœur des interventions de développement, de gestion des conflits et d’action climatique, conçue comme la construction d’un bien commun. 

Et les interventions de :

  • Rabah Arezki, chef économiste pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale
  • Louise Baker, directrice du département Relations extérieures, politiques et plaidoyer (ERPA), Policy and Advocacy (ERPA), Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD)
  • Simone Bertoli, professeur au Cerdi
  • Barbara Buchner, directrice senior de la Climate Policy Initiative
  • Pascal Delisle, conseiller changement climatique au Service pour l’action extérieure de l’Union européenne
  • Jean-Marie Guehenno, ancien président-directeur général du International Crisis Group, ancien secrétaire général adjoint du Département des Opérations de maintien de la Paix, Nations unies
  • Patrick Guillaumont, président de la Ferdi
  • Ingrid Holmes, directrice, E3G
  • Alain de Janvry, Professeur à l’université de Californie à Berkeley et Senior Fellow Ferdi
  • Inge Kaul, professeur adjoint à la Hertie School of Governance, Berlin, Allemagne
  • Sylvie Lemmet, conseiller maître à la Cour des Comptes, co-auteure du rapport « Pour une stratégie française de la finance verte »
  • Général Luc du Perron de Revel, général de division, Armée de terre française, ancien commandant du Service militaire adapté (SMA)
  • Cyrille Pierre, directeur du Développement durable, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
  • Mario Pezzini, directeur du Centre de Développement de l’OCDE
  • Emmanuel Puisais-Jauvin, Directeur général adjoint de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international, MEAE
  • Teresa Ribera, directrice de l’Iddri
  • Grégoire Rota Graziosi, professeur à l’université de Clermont Auvergne, directeur du Cerdi
  • Jean-Michel Sévérino, président de Investisseurs & Partenaires (I&P)
  • Youba Sokona, conseiller spécial Développement durable au South Center, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)
  • Luis Tejada Chacon, directeur de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement – Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo (AECID)
  • Charles Tellier, responsable de la Cellule Crises et Conflits de l’Agence française de développement (AFD)
  • Ginette Ursule Yoman, Ancienne Secrétaire d’Etat à la bonne gouvernance, Côte d’Ivoire
  • Bernard Ziller, conseiller économique senior à la Banque européenne d’investissement (BEI)
  • Tertius Zongo, conseiller de haut-niveau pour la région Sahel, Banque africaine de développement, ancien Premier ministre du Burkina-Faso
Programme

9h00 - 9h10 : Accueil

  • Patrick Guillaumont, président de la Ferdi
  • Teresa Ribera, directrice de l’Iddri
  • Grégoire Rota Graziosi, professeur à l’université de Clermont Auvergne, directeur du Cerdi

9h10 - 9h30 : Ouverture

  • Emmanuel Puisais-Jauvin, Directeur général adjoint de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international, MEAEA

9h30 - 11h00 : Session 1
Pauvreté, climat, insécurité : impact respectif et combiné sur les migrations – Quels enjeux pour les politiques de développement ? 

Cette session visait à faire le point sur les liens existant entre d’une part la pauvreté et les inégalités, les conflits politiques ou militaires, les impacts du changement climatique, et d’autre part les différentes formes de migrations (migrations internationales vers l’Europe, mais aussi migrations intra-régionales, intra-nationales, pendulaires, etc).

Ceci suppose notamment de clarifier ces différentes formes de migration, les différents facteurs causant les migrations, et les liens entre migrations et développement des territoires d’origine et des territoires et pays d’accueil. La session a aussi permis de discuter l’utilité de distinguer les migrations forcées et les migrations comme stratégie d’adaptation face aux chocs politiques, climatiques ou économiques.

Présidente de séance : Teresa Ribera, directrice de l’Iddri

Keynote : Frédéric Docquier, professeur à l’Université catholique de Louvain, chercheur senior à la Ferdi [voir la présentation power point en lien dessous]

Discutants :

  • Louise Baker, directrice du département Relations extérieures, politiques et plaidoyer (ERPA), Policy and Advocacy (ERPA), Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD)
  • Simone Bertoli, professeur au Cerdi
  •  Youba Sokona, conseiller spécial Développement durable au South Center, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)

11h15 - 12h45 : Session 2
Les risques sécuritaires et environnementaux remettent-ils en cause l’analyse et la conception des projets de développement ? 

Cette session visait à discuter l’impact des risques en matière de sécurité et de conflits politiques ou militaires, mais également des risques découlant du changement climatique (y compris pour le partage des ressources naturelles) sur l’identification, la conception et la mise en œuvre des projets de développement. Au-delà de la prise en compte de ces risques en termes d’évaluation des projets, cette session visait à clarifier comment les interventions de développement (à l’échelle de projets ou de politiques) peuvent permettre de réduire ces risques. Cette session a discuté des liens entre approches humanitaires, militaires, et de développement.

Président de séance : Grégoire Rota Graziosi, professeur à l’université d’Auvergne, directeur du Cerdi

Keynote : Dominic Rohner, professeur à la faculté des hautes études commerciales de l’université de Lausanne, chercheur au Center for Economic Policy Research [voir la présentation power point en lien dessous]

Discutants :

  • Rabah Arezki, chef économiste pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale
  • Charles Tellier, responsable de la Cellule Crises et Conflits de l’Agence française de développement (AFD)
  • Bernard Ziller, conseiller économique senior à la Banque européenne d’investissement (BEI)

14h00 - 15h30 : Session 3
Financement du développement, de la sécurité et du climat : quelles parts respectives, quelles synergies, concurrence ou complémentarité ? 

Cette session visait à mettre en évidence les arbitrages incontournables entre le  financement du développement, de la sécurité et de la lutte contre le changement climatique. Elle a notamment discuté des choix d’allocation ou d’orientation des financements publics et privés vers les pays et territoires qui en ont le plus besoin, alors qu’ils sont aussi les plus risqués. Elle s'est s’intéressé à la répartition des financements publics entre types d’instruments, selon les institutions bilatérales ou multilatérales de financement.

Président de séance : Patrick Guillaumont, président de la Ferdi

Keynote : Barbara Buchner, directrice senior de la Climate Policy Initiative  [voir la présentation power point en lien dessous]

Discutants :

  • Ingrid Holmes, directrice, E3G
  • Alain de Janvry, Professeur à l’université de Californie à Berkeley et Senior Fellow Ferdi
  • Sylvie Lemmet, conseiller maître à la Cour des Comptes, co-auteure du rapport « Pour une stratégie française de la finance verte »
  • Cyrille Pierre, directeur du Développement durable, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

15h45 - 17h15 : Session 4
La gouvernance au cœur des interventions de développement, de gestion des conflits, et d’action climatique, conçue comme la construction d’un bien commun 

Cette session visait à mettre l’accent sur la gouvernance comme un enjeu majeur pour lutter contre les conflits politiques, réduire les risques sécuritaires mais aussi environnementaux (par une meilleure gestion en bien commun). Cette session s’est attaché aux enjeux de construction d’institutions de gouvernance internationale (à l’échelle globale comme pour le climat ou à l’échelle régionale comme pour la gestion commune d’une ressource en eau partagée) , mais également nationale ou locale. Elle s'est intéressé aux instruments d’intervention de développement les plus propices à améliorer la gouvernance.

Président de séance : Jean-Michel Sévérino, président de Investisseurs & Partenaires (I&P)

Keynote : Gaël Giraud, chef économiste et directeur exécutif de la Direction innovation, recherche et savoirs de l’Agence française de développement

Discutants :

  • Pascal Delisle, conseiller changement climatique au Service pour l’action extérieure de l’Union européenne
  • Inge Kaul, professeur adjoint à la Hertie School of Governance, Berlin, Allemagne
  • Youba Sokona, conseiller spécial Développement durable au South Center, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)

17h30 - 18h30 : Table ronde finale
Quelle politique de développement international face au triple défi de la pauvreté, du climat et de l’insécurité ? 

Président : Tertius Zongo, conseiller de haut-niveau pour la région Sahel, Banque africaine de développement, ancien Premier ministre du Burkina-Faso

Panel :

  • Luc du Perron de Revel, général de division, Armée de terre française, ancien commandant du Service militaire adapté (SMA)
  • Jean-Marie Guehenno, ancien président-directeur général du International Crisis Group, ancien secrétaire général adjoint du Département des Opérations de maintien de la Paix, Nations unies
  • Mario Pezzini, directeur du Centre de Développement de l’OCDE
  • Luis Tejada Chacon, directeur de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement – Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo (AECID)
  •  Ginette Ursule Yoman, ancienne Secrétaire d’État à la gouvernance et au renforcement des capacités, Côte d’Ivoire

Objectifs

  • Proposer des diagnostics empiriques et robustes permettant de définir un agenda pour l’action liant sécurité, environnement et développement et au service de choix politiques clairs.
  • Proposer des pistes pour mettre en cohérence l’agenda de développement international en vue de l’atteinte des ODD par chaque pays avec l’agenda de sécurité de l’Europe.

Compte-rendu

Le 15 janvier 2018, le Cerdi, la Ferdi et l’Iddri ont organisé à Paris au ministère des affaires étrangères une conférence sur le thème « Développement, climat, sécurité : enjeux d’une nouvelle politique de coopération ».

Cette conférence se plaçait sous l'égide de l'initiative pour le développement de la Gouvernance Mondiale (IDGM) dont l'objet est de favoriser l’émergence d’une capacité française et francophone, dans un cadre européen, à produire des idées et à influencer le débat international dans le domaine du développement international. Cette initiative, qui réunit l’Iddri et la Ferdi, bénéficie d’un soutien public à travers l’Agence française de développement (AFD). Le projet IDGM+ « Concevoir de nouvelles politiques de développement international à partir des résultats de la recherche. Renforcement de l’Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale » est une extension de l’initiative IDGM, associant également le Cerdi. Le projet IDGM+ a été sélectionné en 2011 dans le cadre du programme « Investissements d’avenir » des laboratoires d’excellence (Labex).

Ouverture de la conférence

Devant une audience de près de 300 personnes, la conférence s’est ouverte sur les mots de bienvenue de Patrick Guillaumont, de Teresa Ribera et de Grégoire Rota Graziosi qui ont rappelé la nécessité et les enjeux de comprendre les interactions entre le développement, la sécurité et le climat avant de formuler des recommandations politiques.

Emmanuel Puisais-Jauvin a introduit la conférence en rappelant le contexte mondial difficile où les crises s’inscrivent de plus en plus dans la durée et hypothèquent l’avenir des pays fragiles. Le triple défi, climatique, sécuritaire et de développement, exige l’intervention de nombreux acteurs qui relèvent de la diplomatie, de la sécurité, de la défense, de l’humanitaire, du développement et du monde de la recherche. La coordination de ces acteurs, dont les logiques sont parfois différentes voire divergentes, est difficile mais indispensable. Une approche globale autour de ces 3 enjeux est indispensable. La conférence s’inscrit dans cette démarche.

La France a pour ambition de continuer à répondre à ce triple défi dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs de développement durable, du programme d’action d’Addis Abeba et des accords climat de Paris. Elle souhaite porter l’aide publique au développement à 0, 55% de sa richesse nationale d’ici à 2022. Emmanuel Puisais Jauvin a présenté les différentes actions françaises prévues ces prochains mois et années en matière de climat, sécurité et développement. Ces actions s’inscrivent dans un cadre européen dont la politique de développement est en ligne avec les priorités françaises tant au niveau géographique que thématique.

Pauvreté, climat, insécurité : impacts respectifs et combinés sur les migrations – Quels enjeux pour les politiques de développement ?

Introduite par Teresa Ribera, cette session avait pour objectifs de présenter les différentes formes de migration et leurs déterminants, les facteurs causant les migrations et les liens entre migrations et développement des territoires.

La pauvreté, l’insécurité et le climat jouent un rôle dans ces migrations mais dans quelle proportion ?

Les projections migratoires, et leurs liens avec climat, développement et sécurité

Frédéric Docquier a présenté un nouveau modèle de projection des tendances globales migratoires et les facteurs de migrations [voir ppt]. Ce modèle montre que la démographie et l’insécurité sont effectivement les facteurs prépondérants expliquant les pressions migratoires des quarante dernières années des pays pauvres vers les pays riches. Les facteurs climatiques influent davantage sur les migrations internes et assez peu sur les migrations internationales.

Pour l’Afrique, quel que soit le scénario retenu et intégré au modèle de projection, qu’il soit pessimiste (transition démographique lente et progrès très faibles dans le développement humain et l’éducation) ou qu’il soit optimiste (transition démographique accélérée et progrès significatifs dans l’éducation avec une population de diplômés passant de 5 à 33%), l’immigration va s’accentuer avec le départ des populations les plus éduquées. Pour freiner ces migrations, il faudrait pouvoir atteindre des taux de croissance du PIB des pays africains de l’ordre d’au moins 10% par an. Les projections migratoires pour le 21e siècle sont donc une incitation pour les décideurs à améliorer les politiques de développement et leur cohérence. Sans oublier que la migration elle-même affecte le développement.

Simone Bertoli remarque que si le modèle présenté intègre bien l’impact des variations de températures sur la productivité, en revanche il fait abstraction de l’augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes et qu’il est difficile de traiter de manière séparée la sécurité, le changement climatique et les migrations car il existe une corrélation forte entre les migrations internes liées aux chocs climatiques et leur contribution à l’accroissement de la violence ou de l’insécurité.

De même, Louise Baker souligne que les changements climatiques dont la désertification et la sécheresse induisent des migrations forcées dont 80% sont internes, posent des problèmes de ressources et doivent faire l’objet de politiques de soutien aux populations. Quant à Youba Sokona, il rappelle qu’une approche globale a pour défaut de ne pas prendre en compte les particularités des pays, pourtant essentielles à la mise en place des politiques de développement. Avec le changement climatique, la possibilité est donnée à tous les pays de repenser fondamentalement leurs trajectoires de développement et leur gouvernance. 

Les risques sécuritaires et environnementaux remettent-ils en cause l’analyse et la conception des projets de développement ?

Introduite par Grégoire Rota Graziosi, cette session visait à discuter de l’impact des risques climatique et sécuritaires sur la conception et la mise en œuvre des projets de développement.

Peut-on prévoir les conflits ?

Il existe différents outils développés par les économistes pour prédire les risques de conflits mais les recherches continuent pour pouvoir donner les moyens à la communauté internationale de mieux contribuer à la paix en anticipant les risques de déstabilisation. Dominic Rohner propose une liste de six facteurs permettant de favoriser la paix sur le long terme [voir ppt]:

  • la sécurité quotidienne, clé du développement,
  • l’importance de la réconciliation,
  • l’importance du rôle des entreprises et de leur surveillance,
  • l’investissement dans l’éducation
  • le développement de la formation et l’accès au marché du travail,
  • le partage du pouvoir.

Or comme plus de la moitié des crises s’inscrivent aujourd’hui dans la durée Charles Tellier justifie un rapprochement entre les acteurs du développement et de l’humanitaire. Pour répondre à cette nécessité l’Agence française de développement a développé par exemple un fonds « paix et résilience », une approche nouvelle de partenariats et de co-financements de projets terrain au Sahel avec la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le PNUD, la KFW allemande et l’union européenne. 

Dans le même esprit, Rabah Arezki souligne l’importance du secteur privé, notamment dans le cadre d’une reconstruction mais également d’une meilleure coordination des acteurs et c’est dans cette optique que la Banque mondiale a créée des plateformes ouvertes pour aider les agences de développement à se coordonner. Un autre enjeu sera d’aider les Etats dépendants des ressources naturelles à engager leur nécessaire transition écologique.

Bernard Ziller indique d’ailleurs que la Banque européenne d’investissement, dont 90% de l’activité porte sur le financement de projets européens, a peu d’outils pour répondre aux crises climatiques ou sécuritaires des pays en développement mais qu’elle est très sensibilisée à ces questions et analyse de plus en plus l’interaction entre le projet qu’elle considère et son contexte pour limiter les impacts potentiellement négatifs que son intervention pourrait engendrer. Elle a, en outre, pour projet de lancer une filiale qui sera une banque de développement. 

Financement du développement, de la sécurité et du climat : quelles parts respectives, quelles synergies, concurrence ou complémentarité?

En introduction de la session Patrick Guillaumont a rappelé que les trois dimensions sécurité, climat, développement sont complémentaires. Le souhait est que les financements qui leur sont attachés interviennent également de façon complémentaire. L’objectif de la session est d’examiner quelles sont les améliorations à apporter car il existe un risque que ces financements apparaissent comme substituables ou concurrents, les ressources étant limitées dans les budgets internes des pays en développement et pour les bailleurs de fonds.

Etat des lieux des financements climat, comment l’aide publique peut-elle aider à concilier climat et développement ?

Barbara Buchner a présenté le rapport du CPI Global landscape of climate finance sur le suivi des financements climats. Le constat du CPI est que [voir ppt]:

  • les financements climat ont enregistré une baisse entre 2015 et 2016 passant de 437 à 410 milliards de dollars,
  • le secteur privé est devenu une force motrice, notamment dans le secteur des énergies renouvelables,
  • l’atténuation se taille la part du lion et les financements pour l’adaptation ne représentent que 5% des financements,
  • une augmentation du financement et une baisse des coûts des technologies renouvelables,
  • pourtant les investissements sur les énergies fossiles restent très importants.

Le rapport conclut que le financement climat reste insuffisant pour atteindre l’objectif des 2°C et les financements pour l’adaptation sont beaucoup trop faibles. Il pose deux questions :

  • Comment réorienter les investissements vers des activités sobres en carbone ?
  • Comment inciter l’investissement du secteur privé sur des projets risqués ?

C’est avec ces objectifs que le CPI a créée Laboratoire Global Innovation Lab for Climate Finance pour identifier, concevoir et piloter la prochaine génération d'instruments de financement climatique qui devront être capables de créer de nouveaux marchés, d’attirer de nouveaux investisseurs et d’aider à débloquer des milliards de dollars en nouveaux investissements respectueux du climat dans les pays en développement.

Après avoir rappelé l’impact des changements climatiques sur les conflits et l’impossibilité des Pays en développement de financer seuls à la fois le développement, l’adaptation au changement climatique et leur outil de défense, Sylvie Lemmet rappelle que l’aide publique se doit d’intervenir dans les situations les plus risquées et non pas à la place des financements privés. L’objectif pour l’intervention publique est de mettre en place les conditions d’accueil et de faciliter la mobilisation de ces investissements privés. Les objectifs donnés aux institutions de développement doivent leur permettre de placer un pourcentage de leur aide vers des investissements risqués à fort impact et de créer de (vrais !) effets de levier..

L’agriculture est un des enjeux fondamentaux du développement en particulier dans les pays sahéliens. Dans ce domaine, Alain de Janvry souligne que des progrès technologiques importants sont à réaliser, d’où l’intérêt des multiplicateurs public / privé. Il est nécessaire de mieux comprendre, de mieux mesurer pour mieux utiliser et amplifier l’impact de ces multiplicateurs et mobiliser l’investissement privé. Le recours à l’investissement public pour développer de nouvelles variétés de semences est justifié par la baisse des rendements liés aux chocs climatiques, et devrait induire l’investissement des agriculteurs dans ces nouvelles semences. De même pour l’assurance indicielle où l’Etat intervient par le biais de subventions pour faciliter le développement de cette protection dont la mise en oeuvre permet aux exploitants une plus grande prise de risques.

Pour Ingrid Holmes l’intégration en synergie des trois dimensions que sont la sécurité, le climat et le développement est un défi à relever pour les banques de développement multilatérales. Il ne s’agit pas seulement des instruments financiers, mais les banques de développement ont à changer leur stratégie : les ODD et les objectifs du climat doivent être intégrés transversalement à leurs opérations.

En conclusion, Cyrille Pierre fait le constat qu’il existe un biais en faveur de la défense pour des raisons historiques et structurelles (les dépenses de défense dans le monde sont plus de 10 fois supérieures aux dépenses d’aide publique au développement) et en faveur du climat, en raison de l’urgence de la situation et de l’irréversibilité des phénomènes climatiques. Pour autant, nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle entre ces 3 domaines : une dépense n’évince pas les autres. Les migrations et les questions du traitement des fragilités montrent bien l’interaction entre climat, développement et sécurité. L’Alliance pour le Sahel ou la mise en place par l’union européenne de nouveaux instruments financiers (fonds fiduciaire d’urgence, fonds européen de développement durable) sont des exemples de décloisonnement entre les trois enjeux.

Pour rendre cohérentes les actions entre ces 3 dimensions, il est nécessaire que les Etats prennent conscience du coût que représente l’inaction. 

La gouvernance au cœur des interventions de développement, de gestion des conflits et d’action climatique, conçue comme la construction d’un bien commun.

En introduction à cette session, Jean-Michel Sévérino a rappelé la complexité de la notion de gouvernance, celle-ci étant fragmentée, tant au niveau du terrain où les pays en développement peuvent pâtir d’une administration faible voire inexistante dans les situations de crise politique, qu’au niveau de la communauté internationale, incroyablement diverse avec un nombre considérable d’institutions bilatérales et multilatérales. Les différentes logiques de ces institutions accroissent la difficulté de mise en œuvre d’actions cohérentes.

Comment le concept des communs peut-il être utile pour penser la gouvernance ?

Pour Gaël Giraud, il y a de multiples exemples de gestion réussie des communs (les ressources naturelles par exemple) dont les principes sont la création d’une communauté autour de la ressource avec des droits d’usages différenciés et discutés au sein de la communauté. Ce constat  amène à réfléchir à la manière dont on peut aider au développement de ces initiatives, qui au-delà de la bonne gestion des ressources sont créatrices de lien social.

L’AFD reste convaincue que l’instance publique est fondamentale pour favoriser l’émergence de communs dans la société civile. Pour qu’une communauté se créée autour de la gestion d’un commun, il faut qu’elle ait des ressources intellectuelles, culturelles et juridiques que seul l’Etat peut structurer. A l’échelle internationale, des initiatives nouvelles impliquant dans un réseau plusieurs acteurs autour d’un commun se développent, comme par exemple Drug for neglected diseases initiative autour de la santé mondiale.

Dans une étude récente, Inge Kaul a examiné la façon dont nous abordons les défis mondiaux. Chacun a une appréhension différente de la valeur des biens publics mondiaux et le résultat est avant tout déterminé par ses intérêts propres. La notion de biens publics mondiaux et le développement ne sont pas toujours compatibles. De même, les intérêts des bénéficiaires et des bailleurs ne sont pas toujours convergents. Il faut donc donner de la valeur aux biens publics mondiaux. Inge Kaul recommande un système financier international permettant de fixer les prix de chacun de ces biens.

Pour Pascal Delisle les trois dimensions que sont la sécurité, le développement et le climat sont indissociables. La communauté européenne intègre systématiquement la dimension climat dans ses projets et programmes. En matière de développement, des instruments financiers permettant la prise en compte des questions de fragilité et de conflits dans le financement du développement ont été créés et la stratégie globale pour la sécurité intègre le développement et le climat.

Youba Sokona, dans une perspective africaine, rappelle que la gouvernance et l’institutionnel sont des fondamentaux pour la gestion des biens communs et des biens publics. Or le système institutionnel africain doit être complètement repensé et doit tirer les leçons de l’échec des programmes d’ajustement structurel. L’innovation sur le plan institutionnel est tout à fait réalisable notamment dans les pays sahéliens. Il faut repenser les institutions (y compris la question du climat) à partir des besoins des populations et non pas à partir d’injonctions. Quelle politique de développement face au triple défi de la pauvreté, du climat et de l’insécurité ? 

La table ronde présidée par Tertius Zongo a permis un échange nourri, sur de nombreux sujets touchant à la sécurité, à l’emploi des jeunes, à la gouvernance et aux stratégies de développement, au travers des regards et expériences différents des panélistes.

Le général Luc de Perron de Revel constate que le chômage et l’absence de perspective pour les jeunes sont des facteurs d’instabilité pour les pays, d’autant que cette jeunesse est très nombreuse et n’a pas toujours le niveau d’éducation requis pour être employable. Une éducation de qualité et des formations sont donc fondamentales. La sécurité doit permettre le développement afin que le développement lui-même puisse apporter une paix durable et la sécurité pour les populations. Le développement est bien la notion centrale.

Intervenant sur l’institutionnel et la gouvernance, la ministre Ginette Ursule Yoman rappelle qu’un changement de paradigme essentiel est à intégrer : le développement doit d’abord être du ressort et de la responsabilité des Etats africains. La mobilisation des ressources, nécessaires à la conduite des objectifs de développements choisis par les Etats africains, leur incombe en premier lieu. Or, l’architecture institutionnelle des Etats, héritée de la colonisation, est défaillante et les questions institutionnelles devraient être au centre du développement.

Mario Pezzini s’est à son tour exprimé sur la nécessité ou non d’inclure des dépenses de sécurité dans l’aide au développement. En citant deux exemples de pays, le Mexique et le Mali, il montre bien que des réponses différenciées doivent être apportées. Pour le Mali le développement ne peut se faire sans la sécurité mais des stratégies de développement appropriées doivent être mises en place.

Luis Tejada Chacon a présenté l’évolution du travail de l’agence espagnole de coopération qui travaille à la fois avec les pays d’Amérique latine et avec l’Afrique de l’Ouest. Les pays et les situations sont très différents et les objectifs de développement doivent l’être également. Outre ces objectifs, l’approche bilatérale de l’agence a évolué vers plus de multilatéralisme et en coopération déléguée avec l’Union européenne. Les instruments de cette coopération ont également évolué : autrefois essentiellement basés sur les subventions, les instruments financiers aujourd’hui se sont multipliés : garantie sur les crédits, fonds d’investissement, blending, contribution des pays bénéficiaires. L’agence travaille également de plus en plus avec le secteur privé.

Jean-Marie Guehenno s’est exprimé sur les moyens et la manière dont la communauté internationale peut contribuer au maintien de la paix, ses capacités étant très limitées. Dans les pays qui relèvent de conflits, la sécurité repose sur la confiance portée aux forces de sécurité nationales, sur un financement approprié (la communauté internationale doit prendre conscience que les financements nationaux ne suffiront pas à garantir la sécurité) et sur la construction d’un Etat reconnu par l’ensemble des parties. En outre, il existe un dilemme entre le court et long terme et la réflexion doit être portée sur la manière dont peuvent s’articuler ces horizons temporels. Pour finir, la communauté internationale a des progrès à faire dans ses modes d’action.

En conclusion, Tertius Zongo a rappelé qu’il est de la responsabilité des Etats concernés de bâtir des stratégies et de fédérer les acteurs autour de ces stratégies. Les questions de fragilité doivent être prises en compte et les partenaires du développement doivent aller au-delà des analyses classiques réalisées. Les institutions de développement doivent également intégrer les pays concernés à l’élaboration des programmes de développement. Sans cela, les perspectives d'appropriation par les pays semblent utopiques. Ceci est d’autant plus important que la dynamique d’aide profite aujourd’hui non seulement aux pays receveurs mais également aux donneurs. Les problèmes n’ont aujourd’hui plus de frontière : la sécurité en est un exemple. Gagner la paix implique que l’Etat concerné puisse jouer son rôle.

L'initiative pour le développement et la gouvernance mondiale

L'initiative pour le développement et la gouvernance mondiale (IDGM) vise à favoriser l’émergence d’une capacité française et francophone, dans un cadre européen, à produire des idées et à influencer le débat international dans le domaine du développement international. Cette initiative, qui réunit l’Iddri et la Ferdi, bénéficie d’un soutien public à travers l’Agence française de développement (AFD).
 
Le projet IDGM+ « Concevoir de nouvelles politiques de développement international à partir des résultats de la recherche. Renforcement de l’Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale » est une extension de l’initiative IDGM, associant également le Cerdi. Le projet IDGM+ a été sélectionné en 2011 dans le cadre du programme « Investissements d’avenir » des laboratoires d’excellence (Labex). Il intègre aujourd’hui un réseau de 270 chercheurs.
 
En savoir plus : www.idgm.org