Hommage à Betty Sadoulet (1945-2025)

Élisabeth Sadoulet, « Betty », professeur à l’Université de Californie à Berkeley et Senior Fellow à la Ferdi, nous a quittés le 15 octobre dernier, après cinq années de lutte avec un extrême courage contre une maladie qui s’est révélée incurable. Elle a été enterrée à Lissieu près de Lyon, après une cérémonie à l’Eglise Saint Martin de Chasselay, en présence de sa nombreuse et magnifique famille, d’amis et anciens élèves admiratifs de sa pensée et de son action.

Betty qui venait d’avoir quatre-vingt ans était depuis de nombreuses années professeur à l’Université de Californie à Berkeley. Elle avait été aussi, depuis plus de trente ans, associée aux activités du Cerdi comme professeur invité, puis de la Ferdi comme Senior Fellow.

Avant d’évoquer le rôle majeur qu’elle a joué dans le développement de la Ferdi et du Cerdi, il nous semble juste de laisser parler celui qui l’a le mieux connue : Alain de Janvry, son époux depuis trente-cinq ans et collègue à Berkeley comme à la Ferdi. Avec son autorisation, nous citons les propos qu’il a prononcés samedi en l’église de Chasseley sur sa vie professionnelle, en laissant de côté la partie plus intime, familiale, qui avait pour elle une importance immense. Nous lui exprimons toute notre profonde sympathie. 

« Chère famille, chers amis, chers collègues (venus de près et de très loin)

Merci d’être ici pour célébrer la vie de Betty.

Un vie qu’elle a quittée après avoir combattu une longue maladie avec un courage incroyable, sans jamais se plaindre malgré les souffrances, mais avec la satisfaction d’avoir réussi à atteindre les objectifs de vie qu’elle s’était donnés.

Très chère Betty, tu étais connue pour ton éclat d’intelligence au coin de l’œil, ton sourire invitant à la confiance, ton cœur géant disponible pour tous, et tes standards de rigueur intellectuelle sans compromis de qualité. Tu étais aussi connue pour avoir tellement de projets, que le temps te manquait toujours. Ta vie était une course au futur plus qu’une contemplation du présent. Les résultats primaient sur l’hédonisme. La préoccupation d’autrui et la modestie étaient tes normes. Je suis sûr que tu boues d’impatience là où tu dois maintenant reposer pour le temps que cela te fait perdre ! …

Tu étais professeure/chercheuse à l’Université de Californie à Berkeley, une des universités les plus réputées au monde, et à la Ferdi à Clermont-Ferrand, dans le domaine de l’économie du développement international. Ton travail concernait la croissance économique, la pauvreté, les inégalités, l’agriculture, l’environnement et une multitude d’autre sujets liés au développement économique et social des pays les plus pauvres. Le tout guidé par un profond humanisme, un héritage bien familial et bien lyonnais comme je l’ai appris depuis.

Tu as travaillé avec les plus grandes organisations internationales, tu as voyagé et enseigné dans de très nombreux pays, tu as publié de nombreux articles dans les plus grandes revues scientifiques, tu as influencé les prises de décisions de politiques surtout dans le domaine des programmes sociaux et de l’agriculture sur la base de rigoureuses évaluations d’impact des résultats obtenus. 

Cependant, le plus cher pour toi a toujours été de former un grand nombre d’étudiants de haut niveau qui à leur tour sont devenus porteurs de tes idées, de tes idéaux, et de tes méthodes de travail. Par goût, tu étais avant tout une éducatrice, une formatrice. Tu insistais auprès d’eux sur l’importance de faire du travail de terrain, d’avoir un engagement direct avec les acteurs du développement, et de rechercher des méthodes d’identification des causalités, soit par le montage d’expériences randomisées soit par la découverte d’expériences naturelles dans le présent et dans l’histoire.

Tu étais parmi les 100 économistes les plus cités au monde pour leurs recherches entre des dizaines de milliers.

Je finirais juste par rappeler les remerciements que t’ont fait beaucoup de tes anciens étudiants, co-auteurs et collègues pour célébrer ton 80ème anniversaire il y a seulement quelques jours. Ils t’ont dit trois choses. Premièrement, merci pour votre disponibilité à tout moment et pour votre capacité à nous écouter, nous encourager et nous valoriser quelles que soient les circonstances et la qualité du travail et des idées, toujours avec votre profonde empathie et votre sourire si réconfortant. Deuxièmement, merci pour vos exigences de perfection et de rigueur du raisonnement, le plus souvent formalisées en modèles mathématiques et en stratégies empiriques, un mélange de soutien et d’exigence qui plusieurs ont qualifié de « love but tough love ». Et finalement, comme beaucoup l’ont dit en parlant d’eux-mêmes, merci pour ce que vous avez fait pour moi. Je ne serai pas là où j’en suis professionnellement sans vous. J’ai adopté avec succès vos méthodes dans mon propre travail. Mes étudiants font partie de vos nombreux petits-enfants.

Très chère Betty, merci pour tout ce que tu as fait pour nous-famille, amis, collègues-et pour les autres-l’humanité et surtout les plus démunis. »


Nous voudrions ici simplement associer la Ferdi et le Cerdi à ces profonds remerciements qui sont aussi des remerciements émanant d’anciens étudiants, coauteurs et collègues de notre pôle clermontois et rappeler l’influence considérable que Betty a eu sur l’évolution de l’analyse microéconomique appliquée aux pays pauvres et aux populations rurales en particulier. Cette influence résultait d’une combinaison exceptionnelle d’enquête de terrain de traitement quantitatif rigoureux et innovant des données, bien sûr de théorie, mais aussi du souci de servir à l’amélioration des politiques. Cette influence s’est exercée le plus souvent conjointement avec Alain de Janvry. Parmi les manifestations les plus marquantes et les plus influentes de leur collaboration il faut absolument rappeler l’ouvrage Quantitative Development Policy Analysis (1995) et plus encore aujourd’hui Development Economics. Theory and Practice (2016, seconde édition 2021). 

Lors d’une rencontre récente à la fin de l’été Betty et Alain nous avaient dit à Sylviane et moi qu’ils renonçaient à publier une troisième édition, pensant qu’il ne serait plus possible d’enseigner l’économie du développement comme avant. Mais leur ouvrage restera longtemps une référence incontournable.

Un dernier mot pour rappeler aussi la contribution de Betty à la Revue d’économie du développement où elle est restée depuis l’origine membre du comité de direction et où avec Alain elle a aussi plusieurs fois publié des contributions importantes. La dernière est un article à paraître dans un numéro spécial sur les institutions et qui s’intitule "Renforcer l’impact des changements technologiques et institutionnels sur la croissance économique: influencer les comportements". A la fois une brève synthèse de plusieurs de leurs travaux les plus influents et un programme pour l’avenir ! 

L’influence de Betty, toujours associée à celle d’Alain, ne s’arrêtera pas aujourd’hui.

Patrick et Sylviane Guillaumont