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L’entrepreneuriat en Afrique est un enjeu majeur pour la création d’emploi sur le continent dont la croissance de la population en âge de travailler sera la plus élevée au cours des trente prochaines années.
Or, actuellement les économies africaines sont déjà dans l’incapacité de fournir des emplois en nombre suffisant. Seulement 3 millions d’emplois sont créés chaque année sur le continent alors que 10 à 12 millions de jeunes entrent dans le même temps sur le marché du travail.
La création d’emplois est non seulement essentielle pour permettre la réduction de la pauvreté, mais aussi cruciale pour éviter que les tensions socio-politiques s’accentuent (voire apparaissent dans les pays les plus stables).
Le développement du secteur privé est un enjeu majeur pour la création d’emplois en Afrique. Le secteur informel représente plus de 80 % des emplois totaux selon les estimations du Bureau international du Travail. Si les entreprises informelles permettent de fournir des emplois en nombre, ces derniers sont le plus souvent peu rémunérateurs et peu stables.
Le développement du secteur productif passe donc par le développement des entreprises formelles. Le tissu de ces entreprises en Afrique est fragile. Ces dernières sont peu nombreuses et peinent à croître et à améliorer leur productivité. Le développement de ce tissu productif pâtit notamment d’un environnement des affaires parmi les moins favorables de la planète.
Un climat peu propice au développement
Les entreprises privées en Afrique souffrent d’un environnement des affaires peu propice à leur croissance. Les États sont en charge de fixer les règles du jeu économiques. Or, en Afrique, le jeu est parfois biaisé au profit de certains. Les réglementations sont nombreuses et coûteuses. Ainsi, le coût pour enregistrer une entreprise est dix fois plus important en Afrique que dans les pays de l’OCDE.
En outre, les règles sont parfois davantage construites pour favoriser des intérêts privés que pour le bien-être collectif. Par exemple, en Tunisie, sous la présidence de Ben Ali, le cadre réglementaire était construit pour favoriser les intérêts des entreprises appartenant au clan Trabelsi, belle-famille du président. Enfin quand bien même les règles sont justes et équitables, la mise en œuvre des règles est souvent compliquée faute de moyens suffisants donnés aux administrations publiques.
Face à un cadre réglementaire manquant de lisibilité, difficile à appliquer, voire détourné de l’intérêt général par certains acteurs, les entreprises peinent à se développer. À court terme, la mise en conformité avec les règles existantes engendre des coûts additionnels pour les entreprises.
Ce surcoût concerne aussi les entreprises qui adoptent des « stratégies d’évitement » comme le fait de recourir à des canaux non officiels pour obtenir les documents nécessaires à leur activité. Par exemple, au Soudan, 90 % des entreprises déclarent pouvoir obtenir un permis de construire en moins de deux semaines alors que le délai « officiel » est de 250 jours.
Cette situation reflète l’existence d’un système de corruption répandue qui est inéquitable (toutes les entreprises n’ayant pas le même accès à ces canaux de substitution) et mine l’autorité de l’État. À plus long terme, un environnement des affaires défavorable, en raison de la corruption ou de l’inadéquation du cadre réglementaire, décourage les entreprises à investir.
Ainsi, il peut apparaître rationnel pour une entreprise de demeurer à une taille inférieure à son niveau optimal, ou dans l’économie informelle, afin d’éviter certains coûts additionnels générés par un cadre réglementaire inadapté ou de devenir un peu trop visible aux yeux des autorités.
Les limites des actions actuelles
Pour favoriser le développement du secteur privé, de nombreux pays africains (souvent sous la pression des institutions internationales) ont mis en place des réformes visant à améliorer leur environnement des affaires. Ainsi, de nombreux pays ont cherché à faciliter l’enregistrement des entreprises en réduisant le nombre de démarches administratives nécessaires.
Cependant, les analyses ex post de ces politiques montrent des effets faibles, voire nuls de ces réformes. En effet, ces dernières ont rarement bénéficié du soutien politique nécessaire. Les dirigeants ont pu accepter de faire des réformes en modifiant la loi mais sans donner les moyens aux administrations de les appliquer, les rendant de facto caduques.
En outre, ces réformes portent le plus souvent sur un seul aspect du problème, et leur efficacité est ainsi limitée par l’existence d’autres goulets d’étranglement dans la procédure. Suite à l’échec d’une politique de formalisation au Sri Lanka, des chercheurs en ont analysé les raisons. Il ressort que les entrepreneurs ne pouvaient accéder à un titre de propriété qui était pourtant indispensable pour s’enregistrer. Il est probable que des situations similaires existent en Afrique.
Cet exemple souligne la nécessité, pour améliorer l’environnement des affaires, d’apporter une réponse globale à un problème systémique. À court terme, il convient de combiner cette stratégie avec des actions complémentaires au niveau des entreprises. Les entreprises qui interviennent dans une filière dont l’environnement des affaires est défavorable sont confrontées à des mécanismes de corruption qu’elles peuvent contribuer à entretenir par absence d’alternatives ou par dessein.
Conscientes qu’elles sont parties prenantes de la situation, certaines entreprises mettent en place des codes de conduites (ou charte éthique) en interne et renforcent leur gouvernance privée en vue de limiter l’impact de cette corruption sur leur activité (afin d’améliorer leur réputation et minimiser les risques juridiques).
Cependant, les efforts d’une entreprise à lutter contre ces problématiques ne seront efficaces que s’ils parviennent à générer un effet d’entraînement auprès des autres acteurs clefs de sa filière. En effet, l’entreprise qui initie une démarche vertueuse supporte un coût additionnel, qui se matérialise par une perte de compétitivité.
Agir au niveau mésoéconomique
Face aux limites des actions au niveau macroéconomique et microéconomique, nous avançons l’idée de compléter le panel des actions en agissant à un niveau mésoéconomique. Cette approche nécessite de prendre appui sur les corps intermédiaires tels que les organisations patronales ou interprofessionnelles, les syndicats de producteurs ou les chambres de métiers ou de commerces et industrie.
Ces corps intermédiaires peuvent agir à la fois au niveau macroéconomique et microéconomique. D’une part, les organisations professionnelles peuvent faciliter le dialogue avec l’État. La qualité du « dialogue public-privé » est fondamentale pour que l’État ait une connaissance fine des contraintes du secteur privé et puisse ainsi améliorer l’environnement des affaires.
Les organisations professionnelles permettent également d’accompagner les réformes internes des entreprises en facilitant la coordination entre les acteurs au sein d’un secteur ou d’une chaîne de valeur et en supportant une partie des coûts du changement.
Des organisations professionnelles bien structurées sont essentielles pour améliorer l’environnement des affaires et ainsi permettre un développement des entreprises privées en Afrique. L’aide internationale sur cette thématique s’appuie en priorité sur les entreprises et les gouvernements.
Favoriser un rapprochement entre les bailleurs et les corps intermédiaires est sans doute un levier de réponse, complémentaire aux outils existants, qu’il convient d’approfondir. Les bailleurs pourraient par exemple aider à la structuration des organisations professionnelles par la mise à disposition de moyens financiers et humains.